La Marquise de Pompadour
vous-même.
– Parfaitement en règle, trop en règle !
– Alors, je puis emmener le chevalier d’Assas ?
– C’est grave. Vous comprenez, moi je ne demande pas mieux. Mais il se passe parfois des choses si bizarres ! Supposez un instant, – tout arrive ! – que la signature du roi et celle de M. Berryer soient fausses…
– Il y a les cachets, dit M. Jacques sans nullement paraître offensé.
– Oui, je sais bien, il y a les cachets ! Mais si on a pu imiter la royale signature, on a pu tout aussi bien pénétrer dans les bureaux… c’est si facile !… On prend un cachet, on timbre… et le tour est joué !…
– Tout cela est en effet possible, dit M. Jacques sans un frémissement. Et alors, que comptez-vous faire ?
– Deux choses, mon cher monsieur Jacques ! fit M. de Machault qui, en même temps, appuya sur un bouton correspondant à un timbre extérieur.
Presque aussitôt, M. Jacques entendit des pas nombreux de soldats qui s’arrêtaient dans l’antichambre. Mais il demeura impassible. A peine si une légère pâleur apparut sur son visage que le gouverneur ne quittait pas des yeux.
– Voyons les deux choses, dit paisiblement le mystérieux personnage.
– D’abord, il faut que je m’assure que cet ordre de mise en liberté n’est pas faux !
– Combien de temps vous faut-il pour cela ?…
– Trois jours.
– C’est trop, monsieur le gouverneur. Il me faut mon prisonnier séance tenante.
Le marquis de Machault demeura stupéfait. Il croyait avoir écrasé son homme sous cette formidable accusation de faux, à peine voilée par de prétendues nécessités de service.
– Il paie d’audace ! pensa-t-il. Assommons-le !…
Et il reprit :
– Quant à la deuxième chose…
– Ah ! oui… voyons la deuxième chose…
– C’est de vous faire jeter, vous, honnête et digne bourgeois, dans mon cachot le plus secret, le plus infranchissable… jusqu’à ce que…
– Jusqu’à quand ? voyons ! fit M. Jacques avec un calme terrible.
– Jusqu’à ce que je sache comment un papier de cette importance, concernant un prisonnier d’Etat, peut se trouver dans les mains d’un espion de la Prusse !
En même temps, le gouverneur se dirigea vivement vers la porte pour faire entrer les soldats qu’il avait appelés. Mais, plus prompt que la foudre, M. Jacques s’était jeté entre le gouverneur et cette porte !
D’une voix basse, ardente, emplie d’une sorte de majesté puissante, il gronda :
– A genoux ! Et demande pardon !…
Et, d’un geste d’une indicible dignité, il tendit sa main, à l’index de laquelle étincelait le large chaton d’une bague monstrueuse.
Le marquis fixa sur les signes mystérieux tracés sur ce chaton des regards hébétés. Puis, ce regard, avec une terreur insensée, remonta jusqu’au visage flamboyant de l’homme… et alors, il fut pris d’un tremblement convulsif, et s’abattit sur les genoux en balbutiant :
– Le général !… Le chef suprême de la Compagnie de Jésus !…
– O Père ! O mon Père ! pardon, pardon ! murmura le marquis de Machault.
– Silence ! dit le Père, et relevez-vous !
Le gouverneur obéit en toute hâte.
– Voyez, dit le général des Jésuites, voyez, mon enfant, où m’a conduit votre obstination… vous m’avez forcé de me révéler à vous…
– Ah ! Monseigneur, qui aurait pu supposer… prévoir…
– Songez qu’une indiscrétion de votre part pourrait avoir de funestes conséquences. Le roi de France déteste notre saint ordre, vous le savez ! S’il me savait en France… à Paris ! qui sait s’il ne me ferait pas jeter dans quelque prison d’Etat… dont vous ne seriez pas le gouverneur, mon cher fils !
– Ah ! maudit soupçon que j’ai eu ! Jamais je ne me pardonnerai !…
En même temps, Machault considérait l’illustre visiteur avec une sorte d’effroi mêlé de respect et de vénération.
– Oui, dit le Père, mais moi, je vous pardonne… Au contraire, votre promptitude, votre sagacité me révèlent en vous des qualités que j’ignorais et que j’utiliserai… Voyons, mon fils, quel rang occupez-vous dans la partie laïque de l’ordre ?…
– Le septième, Monseigneur. Votre haute bienveillance a bien voulu me faire passer du huitième au septième, voici trois ans.
– Bien, à partir d’aujourd’hui, vous passez au cinquième rang, franchissant ainsi le sixième. Vous vous ferez
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