La Marquise de Pompadour
tête.
– Bien entendu, reprit alors M. Jacques, l’invitation ne sera pas au nom de Juliette Bécu. Donnez-lui un nom qui la rende possible. Et tenez… j’y pense… pourquoi ne s’appellerait-elle pas tout simplement comtesse du Barry ?
– Tout simplement ! s’écria le comte suffoqué. Mais je ne suis pas marié !…
– Bah !… Vous vous seriez marié secrètement. Des raisons intimes vous auront obligé à cacher la comtesse quelque temps… cela attirera l’attention sur elle… et peut-être que le roi daignera la voir et remarquer sa beauté.
Du Barry était pâle comme un mort. Il eut une de ces révoltes, derniers ressauts non pas de la conscience, mais de la morgue de race.
– Monsieur, fit-il à voix basse et les dents serrées, prenez garde de trop me demander ! Prenez garde de m’acculer à la révolte !
– Et alors ?
– Alors, monsieur !… perdu pour perdu, je dirais…
– Nos conventions ?… Eh bien ! dites-les !… On saura ainsi que vous avez voulu mourir dans la peau d’un espion à la solde de la Prusse !… Quant à moi, mes précautions sont prises. Adieu, comte ! dès aujourd’hui vous n’existez plus pour moi !
– Grâce ! râla du Barry en s’abattant à genoux. J’obéirai.
– Soit ! fit M. Jacques en levant les épaules. Vous êtes un enfant. Allons, à demain, n’est-ce pas ?
– Oui ! dit le comte en se relevant.
– Avec deux invitations.
– Je les aurai !
– L’une pour le chevalier d’Assas !
– Oui… oui !…
– Et l’autre pour M me la comtesse du Barry !
A bout de forces, le comte fit un signe de tête désespéré et sortit, la rage dans le cœur.
M. Jacques attendit quelques minutes que du Barry se fût éloigné. Alors, il ferma les portes, tira les rideaux et ouvrit l’armoire secrète d’où il tira quelques papiers qu’il se mit à annoter.
Puis il écrivit une vingtaine de lettres.
Ces diverses besognes l’occupèrent jusqu’au soir… Vers huit heures, il dîna. Son repas se composait, presque invariablement, comme des notes du temps nous l’apprennent : d’un potage, d’un poisson, d’un peu de blanc de volaille et d’eau légèrement rougie. Le matin, le poisson était remplacé par un légume vert, et le blanc de volaille par un peu de viande ou des œufs.
Il faisait nuit noire lorsque M. Jacques acheva ce dîner modeste, qui lui fut servi par un domestique silencieux comme une ombre.
Alors il se leva, et, ayant consulté un carnet rempli de notes, il sortit.
Par des chemins compliqués, il parvint à l’ancienne rue des Barres et pénétra dans une maison de pauvre apparence. Tout était noir et silencieux aux environs. Tout paraissait dormir dans la maison.
Cependant M. Jacques, sans hésitation, pénétra dans une allée que n’éclairait aucune lampe, et se mit à monter un escalier très raide, en se tenant d’une main à la corde qui servait de rampe. Il arriva ainsi tout en haut de la maison, hésita un instant, puis frappa à une porte.
Au bout de quelques secondes on vint ouvrir, et une jeune femme parut, tenant une lampe à la main, et considérant avec une curiosité hardie ce nocturne visiteur.
M. Jacques mit le chapeau à la main, s’inclina, et, d’une voix presque respectueuse, il dit :
– Mademoiselle, voulez-vous, malgré l’heure tardive, me permettre de vous entretenir quelques minutes ?…
Mademoiselle !… L’heure tardive !… Ces deux mots amenèrent un sourire vite réprimé sur les lèvres de la jeune femme qui répondit :
– Entrez, monsieur, on ne me dérange jamais… quand toutefois je suis seule comme ce soir.
M. Jacques entra, s’assit dans le fauteuil que lui désignait la maîtresse de céans ; et de ce rapide coup d’œil qui jugeait vite et bien, il inspecta la chambre d’abord, la femme ensuite.
La pièce, à demi-salon, à demi-chambre à coucher, contenait un lit assez beau, des fauteuils, un clavecin et quelques toiles suspendues aux murs couverts de brocatelle.
Tout cela était usé, pauvre, et sentait la misère décorée et savamment déguisée.
La femme était étrangement belle. C’était une magnifique créature rayonnante de jeunesse, avec des yeux de velours noir que faisait briller davantage le contraste d’une opulente chevelure d’un blond ardent. Elle portait une toilette d’intérieur d’un goût qu’on était étonné de lui voir. Elle s’exprimait avec aisance, et sa voix
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