La Marquise de Pompadour
dressez-vous entre moi et le suprême repos ?…
– Nul ne peut empêcher ce qui doit être, dit gravement le comte de Saint-Germain. Si j’essaye de vous arracher à la mort, c’est que l’heure de mourir n’a pas sonné pour vous… Vous me demandez si je suis votre ami, votre frère… je suis plus que tout cela ! Je suis quelqu’un qui a pitié de vous parce que vous êtes infiniment digne de la pitié ! De quel droit je m’interpose ? Du droit de celui qui sait ! De celui qui a sondé le néant des passions humaines, qui a terrassé la mort et contemplé la vie face à face !…
En parlant ainsi, le comte se transfigurait.
Une sorte de majesté sereine envahissait son visage.
Le chevalier le considérait avec un étonnement voisin de l’effroi, avec une sorte de respect dont il ne pouvait se défendre.
– Pourquoi voulez-vous vous tuer, d’Assas ? reprit Saint-Germain. Si vous étiez une nature vulgaire, je pourrais vous dire d’espérer ; je vous prouverais que le roi est un égoïste qui n’aime personne que lui-même, que sa passion pour Jeanne ne sera qu’un feu de paille vite éteint, et qu’alors vous pourrez apparaître au cœur de cette pauvre femme comme l’ange consolateur !… Mais je ne vous dirai rien de tout cela, d’Assas ! Je vous dirai simplement de vivre parce que la vie est belle en soi. Il n’y a au monde qu’une chose de grave et d’inguérissable : c’est la mort ! Tout le reste peut et doit se guérir, même l’amour le plus vrai, le plus profond, comme celui que vous éprouvez !…
D’Assas secoua la tête avec une violence désespérée.
– Vous me parlez ainsi parce que vous n’avez jamais aimé ! dit-il.
Saint-Germain sourit…
– Qu’appelez-vous aimer ? dit-il avec une sorte de gravité plus poignante. Ecoutez-moi. Peut-être me comprendrez-vous, car vous êtes une des âmes les plus généreuses que j’aie rencontrées. Pour l’humanité dans son ensemble, l’amour est une forme de l’égoïsme. Un homme aime une femme. Cela veut dire qu’il la désire ; il en souhaite la possession ; il veut absolument que cette femme soit à lui et non à d’autres. Si elle est vénale, il l’achète comme un marbre, un objet de luxe quelconque. Si elle est honnête, il s’efforce de lui prouver qu’elle doit lui appartenir volontairement. En somme, il cherche à s’emparer d’elle. C’est une œuvre de conquête à la façon des antiques barbares. La preuve, c’est que sa douleur d’amour est atténuée, disparaît presque entièrement si la femme convoitée ne se donne à personne. Ce qu’on appelle jalousie n’est guère que l’exaspération de cet égoïsme particulier. L’homme cherche donc surtout à satisfaire son propre appétit de conquête et de possession lorsqu’il affirme qu’il aime. Aimer veut dire vouloir. Je veux cet objet : bronze, marbre ou femme. Je le veux pour moi seul. J’en ai envie. Et alors je prétends que je l’aime ! Quelle pitié !…
– Ah ! murmura d’Assas, est-il donc une autre forme de l’amour ?…
– Oui. L’amour existe. Il est vrai. Il est plus précieux que tous les trésors de Golconde. Mais enfin, il existe. Peu d’hommes l’éprouvent. Il est presque aussi difficile de rencontrer un homme qui aime que de trouver une femme digne d’être aimée. Mais cela se trouve !
– Et qu’est-ce que cet amour dont vous parlez ? demanda le chevalier avec cet étonnement profond et respectueux qu’inspirent les vérités entrevues.
– L’amour, dit alors le comte, c’est la forme la plus parfaite du dévouement, c’est-à-dire tout juste le contraire de ce que le vulgaire appelle de l’amour. Aimer une femme ne peut pas signifier autre chose que souhaiter ardemment son bonheur à elle, et non le bonheur de soi-même. Me comprenez-vous ?
– Oui… je le crois, du moins, fit d’Assas en frémissant.
– J’aime cette femme. Voici exactement ce que cela veut dire : s’il plaît à cette femme de m’appeler à elle, je vais entreprendre des travaux d’Hercule, je vais remuer ciel et terre pour assurer son bonheur… mais si elle s’éloigne de moi… si sa sympathie va à un autre…
– Eh bien ? demanda le chevalier palpitant.
– Eh bien, parce que je l’aime… parce que j’ai entrepris d’assurer son bonheur, non seulement je ne me dresserai pas comme un obstacle entre elle et l’homme préféré… mais encore je me réjouirai de voir
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