La Marquise de Pompadour
qu’elle a trouvé sans moi ce bonheur que je prétendais lui apporter…
– Effrayante théorie !…
– Vous dites effrayante parce que vous n’avez pas goûté le charme infini du dévouement pur, du sacrifice qui n’attend pas de récompense… Moi qui ai connu toutes les formes de l’amour, depuis la jalousie qui rêve le meurtre jusqu’au désespoir qui rêve le suicide, je vous le dis : là seulement est l’amour !…
D’Assas, rêveur, écoutait les paroles de Saint-Germain qui peu à peu berçaient sa douleur et l’apaisaient. Peut-être le comte n’avait-il pas eu d’autre but en lui faisant l’exposé de sa théorie de l’amour.
Le chevalier, comme l’avait dit Saint-Germain, était vraiment une âme généreuse.
Il commençait à entrevoir la possibilité de se dévouer au bonheur de Jeanne ; graduellement, l’idée de suicide s’éloignait de son esprit. Il souffrait toujours autant : mais déjà il admettait la vérité de ce mot du comte :
– Il n’y a qu’une chose d’inguérissable : c’est la mort !
Mourir, n’était-ce pas se condamner soi-même à ne plus jamais revoir Jeanne ? Et même en repaissant la théorie du sacrifice pur, même en admettant qu’il voulût conquérir la jeune femme, est-ce que le suicide n’était pas la défaite suprême, celle pour laquelle il n’y a pas de revanche possible ?
Le comte de Saint-Germain l’avait pris par le bras ; il l’avait entraîné au dehors ; il lui parlait doucement, et enfin, lorsqu’il le quitta à la porte des
Trois-Dauphins,
il lui avait arraché la promesse de vivre, de ne pas attenter à ses jours.
– Hélas ! pensa le comte quand il fut seul, en voilà un que je viens d’arracher à la mort… Ai-je bien fait ? Ai-je eu tort ? Qui peut le savoir ?… Mais quittons ces tristes idées et allons voir qui triomphe à l’Hôtel de Ville !…
q
Chapitre 20 LA DECLARATION
L ouis XV était resté près de Jeanne, dans le petit salon retiré, lorsque le malheureux d’Assas eut involontairement fait tomber la portière. Le roi, en effet, se souciait médiocrement de la réputation des femmes qu’il désirait. Rendons-lui d’ailleurs cette justice qu’il ne permettait à personne de sourire d’elles en sa présence et qu’il les défendait avec une sorte d’emportement chevaleresque.
Jeanne, au contraire, lorsqu’elle se vit seule avec Louis, eut un mouvement d’effroi.
– Sire, murmura-t-elle, de grâce, permettez-moi de relever les tentures…
– Et pourquoi donc, ma belle enfant ? répondit le roi. Pensez-vous donc qu’on oserait vous soupçonner ? Croyez-moi, nul ne peut s’étonner qu’il me plaise de m’entretenir avec vous, seul à seule. Et si quelqu’un s’étonnait, je vous jure que vous n’en seriez pas atteinte… Ce mouchoir que vous m’avez ordonné de garder n’est pas plus près de mon cœur que le souci de votre renommée…
En prononçant cette phrase alambiquée avec un sourire où il y avait plus de galanterie affectée que de passion, le roi saisit la main de Jeanne et la conduisit jusqu’à un canapé où il la fit asseoir.
– Sire, balbutia Jeanne éperdue, m’asseoir devant le roi !… Votre Majesté oublie…
– Eh ! qu’importe de vaines questions d’étiquette, fit Louis XV en prenant place près d’elle. Il n’y a pas ici de majesté ni de roi… il n’y a qu’un gentilhomme qui veut vous dire combien il est charmé de vous approcher enfin de si près, après l’avoir si vivement souhaité…
– Il est donc vrai ! s’écria Jeanne dans la joie naïve et puissante de son âme ; vous avez désiré me voir !…
– Sur l’honneur !… Depuis que je vous ai rencontrée à la clairière de l’Ermitage, je suis comme un écolier amoureux… je rêve, je soupire, et, Dieu me damne, je fais des vers, ce qui fait que je dois vous paraître d’un ridicule…
– Oh ! Sire !… Vous !… Le roi !
Jeanne, toute haletante, avait prononcé ces mots avec une conviction ardente, absolue, – une sorte de cri de révolte. La majesté royale, à ses yeux, ne pouvait pas tomber au ridicule !
Louis XV haussa les épaules – imperceptiblement, – intérieurement, si on peut dire.
– Encore Sire ! pensa-t-il. Encore le roi ! il ne s’agit point de cela en ce moment !
Jeanne ne voyait rien. Elle était comme éblouie. Ce cher rêve qu’elle avait à peine osé caresser dans le secret de ses pensées se
Weitere Kostenlose Bücher