La Marquise de Pompadour
un tel service que c’est maintenant entre nous à la vie, à la mort !
Cet homme, c’était d’Etioles !…
Le chevalier, hagard, le regarda comme un fou, sans comprendre, peut-être sans avoir entendu.
Il continua son chemin. Dix pas plus loin, quelqu’un le prit par le bras. Cette fois, c’était le seigneur étranger qui accompagnait du Barry. D’Assas reconnut M. Jacques.
– Que me voulez-vous ? gronda-t-il… Qui êtes-vous ? vous qui m’avez empêché de mourir ! vous qui m’avez bercé d’un espoir insensé ! vous qui vous dites prêtre et qui revêtez tous les costumes excepté celui du prêtre !… Laissez-moi !… Vous me faites horreur !…
– Allons donc ! murmura M. Jacques. Tenez-vous bien, morbleu ! On vous regarde !… Vous êtes fou, mon cher !… Vous croyez la partie perdue parce que vous êtes désespéré !… Vous n’avez perdu que la première manche ! Tout peut encore se réparer !… Jeanne vous aimera… si vous voulez m’écouter !…
– Que dites-vous ? balbutia l’infortune en se raccrochant à l’espoir.
– La vérité !… Où puis-je vous voir ?…
– Aux
Trois-Dauphins,
rue Saint-Honoré !…
– C’est bien… attendez-moi chez vous, demain… Je vous apporterai des nouvelles, et de bonnes, je vous le garantis !…
Sur ce mot, M. Jacques se perdit dans la multitude.
D’Assas, un instant réconforté, retomba dans son morne désespoir. Il secoua la tête et se dirigea vers la sortie, la tête en feu, la fièvre aux tempes, la gorge sèche.
Comme il allait atteindre l’escalier, il fut une troisième fois arrêté par un homme qui lui prit les mains et, d’une voix très douce, très paternelle, lui dit :
– Pauvre enfant !… Où allez-vous !… Où courez-vous si vite !…
Et, cette fois, c’était le comte de Saint-Germain. Mais, cette fois, le chevalier sentait une réelle et profonde sympathie chez celui qui lui parlait et comme le comte, le tenant toujours par la main, le conduisait dans une pièce retirée, solitaire, il se laissa faire comme un enfant.
Saint-Germain ferma la porte, tandis que le chevalier, à bout de forces, tombait dans un fauteuil.
– Voyons, où alliez-vous ainsi ? dit le comte en revenant à d’Assas.
– Mais, comte… je… je rentrais chez moi… cette fête me fatigue… j’ai eu tort d’y venir…
– Oui, dit gravement Saint-Germain, vous avez eu tort de venir ici, – et plus grand tort encore de demeurer à Paris. Ah ! chevalier, je vous avais pourtant bien prévenu que l’air de Paris ne vous vaut rien. Mais ne parlons pas du passé. Le mal est fait. Vous êtes empoisonné.
– Empoisonné !… Monsieur… vous me tenez là d’étranges discours, il me semble !
– C’est le discours que je tiens à ceux que j’aime… et, croyez-moi, ils sont bien rares, dit le comte d’un ton de douce autorité qui courba la tête du jeune homme. Voyons, reprit-il en haussant les épaules, vous ne m’avez pas encore dit où vous alliez… où vous couriez si vite !
– Je vous l’ai dit, il me semble ; je rentrais chez moi…
– D’Assas !…
– Comte !…
– Vous mentez !…
– Monsieur !…
– Vous mentez, vous dis-je !… Voulez-vous que je vous le dise, moi, où vous alliez ?… Vous alliez tout de ce pas au Pont-au-Change !…
Le chevalier frissonna et jeta un regard d’épouvante sur le comte.
– Vous vous trompez, balbutia-t-il.
– Je ne me trompe pas !… Noble cœur que vous êtes, vous n’avez pas voulu employer l’épée pour un misérable suicide ! Alors, vous vous êtes dit d’abord : je rentrerai dans ma chambre et je me fracasserai la tête d’un coup de pistolet !…
– Monsieur ! Monsieur !… qui donc êtes-vous !…
– Puis, continua le comte, vous avez eu peur de vous manquer, de vous défigurer ! Et alors vous avez pensé à la Seine ! On arrive sur un pont, on enjambe le parapet, on fait le plongeon et tout est dit ! Voilà la vérité, d’Assas !…
Le chevalier haletait. Ses yeux brûlants appelaient vainement les larmes qui les eussent rafraîchis.
Il leva sa tête douloureuse vers l’homme qui lui parlait ainsi.
– Et quand cela serait ! fit-il avec un emportement farouche. Quand j’aurais pris la résolution de me tuer parce que je souffre trop ! Est-ce vous qui m’en empêcherez ?… Qui êtes-vous ? Etes-vous mon ami ? mon frère ? Enfin, de quel droit vous
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