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La mémoire des vaincus

La mémoire des vaincus

Titel: La mémoire des vaincus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Ragon
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devint évident qu’il serait impossible aux organisateurs d’approcher du bâtiment. Comme aucun barrage n’avait été établi sur le parcours du convoi, l’escorte de motocyclistes qui devait précéder le cortège resta bloquée dans une rue adjacente. Et la foule affluait toujours. Ceux qui s’engouffraient dans une rue se heurtaient à ceux qui dévalaient d’une autre. À neuf heures, toutes les voies d’accès à la Maison des Anarchistes étaient bouchées. L’escadron de cavalerie qui devait entourer le corbillard se perdit. Les voitures couvertes de couronnes de fleurs s’immobilisèrent. À dix heures trente, des miliciens de la colonne Durruti saisirent le cercueil et le portèrent sur leurs épaules. La foule entonna Hijos del pueblo. Dans la bousculade, le cercueil et ses porteurs s’avancèrent. Fred suivait. Aux fenêtres des immeubles, sur les toits, dans les branches des arbres, partout des hommes et des femmes saluaient Durruti. Les coups de sifflet des organisateurs désorganisés, les klaxons des voitures bloquées, couvraient la musique des orchestres qui cherchaient à se rejoindre. Il fallut plusieurs heures pour atteindre la Plaza de Cataluña, éloignée seulement de quelques centaines de mètres. Des oraisons funèbres furent prononcées au pied du monument à Christophe Colomb. Mais tout le monde criait et personne n’entendait le moindre discours. On n’atteignit le cimetière qu’en fin de journée. Là encore, une foule arrivée à l’avance, obstruait le chemin de la tombe, piétinant l’amoncellement de centaines de gerbes et de couronnes déposées dans les allées. Découragés, les porteurs entreposèrent le cercueil dans la maison du gardien, repoussant à plus tard la mise en terre. Si bien que Durruti fut enseveli sans public, le lendemain.
    Fred Barthélemy se trouvait néanmoins là. Et le prêtre rouge. Fred l’observait. Ses lèvres tremblaient. Peut-être marmonnait-il une prière ? Fred en éprouva une telle gêne, qu’il s’écria :
    —  Viva la Anarquía   !
    —  Viva la Libertad ! répondit le petit curé.
    Ils se séparèrent, sans autre forme de salut.
     
    Fred Barthélemy resta à Barcelone où il assurait la liaison entre les comités français d’entraide et la F.A.I.
    À la brigade Sébastien Faure s’était ajoutée une brigade allemande Erich Mühsam et une brigade internationale qui avait pris le nom de Sacco et Vanzetti. Ainsi Mühsam, Sacco et Vanzetti rejoignaient symboliquement Durruti. Mais que de morts, bon Dieu, déjà ! Trop de symboles et pas assez de lucidité.
    Outre sa mission officielle, c’est ce manque de lucidité qui retenait surtout Fred en Catalogne. Appréhendant l’effritement de l’élan libertaire dans la prolongation de la guerre, il voulait mettre son expérience de la Révolution russe au profit de la Révolution espagnole. Souvent, il pensait à Victor, parti en 1916 à Barcelone et qui participa à la première insurrection catalane. Il pensait aussi à Igor et aux gardes noirs. Lisant avec attention la presse soviétique, il s’inquiétait de ce que celle-ci s’intéresse de plus en plus aux affaires espagnoles. Il savait bien que, parmi ces officiers instructeurs envoyés de Moscou, se glissaient des agents de la Guépéou. La terrible police politique de Staline devait être là. On ne la voyait pas. Seul Fred la flairait. Le 17 décembre, la Pravda elle-même le lui confirma : « Quant à la Catalogne, l’épuration des éléments trotskistes et anarcho-syndicalistes est commencée ; cette œuvre sera menée avec la même énergie qu’en U.R.S.S. » Que signifiait : « L’épuration est commencée » ? Tous les signes de l’entrisme, du noyautage de la Révolution espagnole par les communistes moscovites se devinaient bien, mais « l’épuration » ? Fred rencontrait souvent les cinq ministres anarchistes du Frente Popular. Il se sentait le plus proche du ministre de la Santé, Federica Montseny. Comme jadis en Russie, deux femmes dominaient de leur personnalité le parti républicain ; une anarchiste, Federica Montseny, et une communiste, Dolorès Ibarruri, dite la Pasionaria. Deux femmes adversaires, comme étaient ennemies Alexandra Kollontaï et Marie Spiridonova. Deux femmes de culture et de comportement bien différents puisque Federica Montseny, comme la Kollontaï, était une intellectuelle, romancière féministe, et que la Pasionaria, épouse de mineur, venait des

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