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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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nécessité le lieu de la réunion, il avait dévoilé l’identité de celui qui y prenait part. Et il aurait dû imaginer que Raoul savait de qui il s’agissait. En prétendant ne pas connaître le physicien caché, il avouait que la liaison entre Marie Curie et Paul Langevin lui était connue, qu’il la suspectait depuis très longtemps et qu’elle scandalisait tout le laboratoire. Mais Raoul n’avait pas pour mission de le confondre, comme on l’eût fait dans un bureau d’une police quelconque.
    — Tout en ayant conscience d’abuser de votre temps, j’aimerais cependant que vous me donniez des informations sur l’état de santé du professeur Curie dans les derniers mois de sa vie.
    — Je ne trouve que le mot : déplorable. Sa résistance physique était bien moindre que celle de Mme Curie. Il éprouvait de tels accès de faiblesse qu’il lui était parfois difficile de marcher. Il se plaignait sans cesse de ses jambes. Il y avait certes le travail de laboratoire. Voyez mes mains ! Nous en étions tous là. Le radium fatigue l’organisme. Mais voici quatre ans, on ne le savait pas. Les Curie ont travaillé dans des conditions épouvantables. À l’époque de leurs premiers travaux en 1898, l’École de physique de la rue Lhomond leur avait consenti l’usage d’un hangar, qui n’était même pas chauffé. Ils ont travaillé dans le froid l’hiver, dans la chaleur l’été. Ils se sont ruiné la santé tous les deux. Pas seulement pour avoir manipulé du radium, mais aussi par suite des humiliations et des rebuffades qu’ils ont subies.
    — Oui. Je connais leur histoire. Le refus répété de nominations à des chaires et l’élection tardive de Pierre Curie à l’Académie.
    — C’étaient des gens fiers. Ils refusaient souvent de quémander les moyens dont ils avaient besoin et ils compensaient en travaillant au-delà de leurs forces. C’est toute l’Université qui les a tués à petit feu. Que Mme Curie vive encore tient du miracle. Elle a porté des bassines qui pesaient trente kilos et brassé les produits des heures durant avec une barre de fer.
    Pierre Leclair avait raison. Même s’il n’avait pas été perpétré physiquement, le meurtre de Pierre Curie avait d’abord été virtuel. Les médiocres, qui encombraient la Faculté, s’étaient ingéniés à briser sa carrière et à entraver son élan. À partir de l’attribution du prix Nobel de 1903, la haine du monde universitaire parisien pour les Curie avait redoublé comme si leur mérite, parce qu’il était reconnu par l’étranger, les rendait encore plus haïssables aux yeux des Français.
    — Monsieur Leclair, iriez-vous jusqu’à dire que le professeur Curie a pu éprouver un étourdissement, lorsqu’il est tombé sous les roues du chariot rue Dauphine ?
    — Ce n’est pas impossible. Ce n’est pas impossible.
    Cette réplique complétait le « ce n’est pas possible » de Louis Manin la veille au soir. Raoul fut tenté de refermer le dossier et de fournir au président Fallières une explication simple, terre à terre : un homme affaibli, préoccupé, distrait, encombré d’un parapluie, glisse sur le pavé mouillé de Paris et meurt dans un accident stupide. Mais il restait deux points dans le récit de Pierre Leclair qui méritaient d’être éclaircis.
    — Comment avez-vous fait pour arriver si vite au commissariat de la rue des Grands-Augustins ?
    Le vieil homme se troubla visiblement.
    — Je me suis hâté. C’était bien normal.
    — Le jour de l’accident, l’inspecteur du commissariat des Grands-Augustins qui a téléphoné rue Cuvier a eu plus de chance que moi ce matin. C’est difficile et très long de vous atteindre à partir du bureau du doyen. Selon le procès-verbal tenu par le commissariat, l’accident s’est produit à 15 h 15. Vous avez reconnu le corps à 15 h 45, une demi-heure plus tard.
    — Je me suis hâté. C’était bien normal.
    Par sa réponse stéréotypée, Pierre Leclair signifiait qu’il ne dirait plus rien. Raoul tenta une dernière manœuvre pour le déstabiliser.
    — Vous avez oublié le nom de la personne que Mme Curie rencontrait régulièrement à Fontenay-aux-Roses. Je connais assez l’entourage de la famille Curie pour m’en souvenir. Habitent dans ce faubourg deux professeurs : un sinologue, Chavannes, et un physicien, Langevin. Cela ne vous dit rien ?
    Pierre Leclair se leva, le visage décomposé, balbutia quelques mots,

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