Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
Vom Netzwerk:
cousine.
     
    L’abbé Mugnier était le confesseur attitré de Raoul, qui l’avait choisi parce qu’il l’estimait au-dessus de tous ses collègues et qu’avec lui le secret de la confession serait bien gardé. Il n’était pas le seul dans ce cas. Tout ce que Paris comportait de catholiques ralliés à la République soutenait l’abbé. Le résultat ne s’était pas fait attendre. Depuis un an, l’abbé était en exil à Dijon. L’archevêque de Paris l’avait banni dans cette ville ennuyeuse, sous le prétexte que l’abbé Mugnier avait déjeuné avec l’ex-père Hyacinthe, un prêtre défroqué et marié. En réalité, l’abbé Mugnier excitait la hargne du clergé par son intelligence, sa culture et sa présence dans les salons littéraires, dont il était devenu l’aumônier sans titre.
    Depuis un an donc, Raoul lui payait le trajet en train Dijon-Paris une fois par mois, l’abbé descendait à l’hôtel Terminus du chemin de fer, b oulevard Diderot, il dînait avec son pénitent et retournait le lendemain matin à son exil. Pour moins de cent francs par mois, Raoul obtenait la paix de sa conscience, sans courir aucun risque politique. Il éprouvait parfois de la gêne à obtenir des absolutions faciles en spéculant sur la gourmandise bien connue de l’abbé. Il modérait donc le faste des repas.
    Par surcroît de précaution, leurs entretiens spirituels se déroulaient en un lieu inattendu, un fiacre avec lequel Raoul allait chercher l’abbé à la gare de Lyon. Il eût été dangereux pour un conseiller de l’Élysée d’être vu en train de pénétrer dans un confessionnal, fût-ce dans une paroisse mondaine comme la Madeleine ou Saint-Honoré-d’Eylau. Ces lieux pouvaient se trouver sous la surveillance de la Sûreté, tant la hantise d’un complot clérical contaminait le gouvernement de la République. Raoul, noble et catholique, mais rallié, constituait certes un alibi commode pour l’Élysée qui prétendait rassembler tous les Français, mais ses ennemis pouvaient ruiner sa carrière, en faisant croire qu’il était sous la coupe des prêtres. Lors de l’affaire des Fiches en 1904, son nom n’avait pas été recensé par le ministère de la Guerre dans la liste des 25 000 officiers qui se permettaient d’aller à la messe. Il fallait donc que Raoul exerce la prudence, même si celle-ci résultait de craintes exagérées. En pratiquant son métier d’informateur de la Présidence, il avait appris qu’il n’y a jamais de précautions inutiles.
    À six heures du soir, tous les premiers mardis du mois, un fiacre s’arrêtait devant l’hôtel de l’abbé que le cocher faisait alerter par la concierge. Raoul restait prudemment à l’intérieur. L’abbé arrivait bientôt, dans sa soutane privée de quelques boutons et tellement élimée qu’elle luisait, tellement vieille qu’elle présentait des reflets verdâtres. Comme chapeau, il portait un étrange tricorne qui le faisait ressembler à une gravure du XVIII e siècle, ses semelles étaient ferrées et ses souliers carrés, pareils en tout à ceux d’un paysan.
    L’abbé Mugnier acceptait de bonne grâce l’extravagance de son pénitent à vouloir se confesser dans un confessionnal monté sur roues. Il était convenu que Raoul se confesserait assis à son côté sur la banquette. La station à genoux eût été non seulement incommode, mais périlleuse à cause des cahots du fiacre.
    Raoul commença, non pas tant à confesser ses fautes qu’à se plaindre de Florence et de sa mère. L’abbé écouta avec patience et démontra ensuite à son pénitent qu’il eût mieux valu choisir, comme future épouse, une personne sérieusement disposée à le devenir. Mme de Luces était franchement une mère abusive, possédant un empire inouï sur sa fille. À supposer même qu’elle se résignât au mariage de celle-ci, elle ne cesserait d’intervenir dans les affaires du jeune ménage. Florence démontrait un manque de maturité, une crainte de la vie, un attachement infantile à sa génitrice qui faisaient appréhender les pires désordres dans sa future vie d’épouse. Sous couvert de piété familiale et de dévouement héroïque se dissimulaient peut-être un orgueil exacerbé, un manque de discernement et un égoïsme retors. Raoul avait choisi un mauvais numéro. Il fallait qu’il en change. Les prêtres manifestent parfois une franchise que les gens ordinaires se gardent à tort d’exercer.
    À ce sermon

Weitere Kostenlose Bücher