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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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saint des saints sans devenir virtuose de cet art. Ainsi les mandarins étaient-ils recrutés jadis par l’empereur de Chine, au moyen d’une joute poétique. Les épures de géométrie descriptive enseignaient, aux futurs ingénieurs militaires de la République française, l’ordre, la patience et la rigueur, pair la répétition forcenée d’exercices maniaques. Et surtout, l’obéissance à des rites dénués de signification, pour briser leur esprit critique.
    Raoul avait transposé la méthode dans ses enquêtes. Il rangeait les faits, repérés chacun par un chiffre, dans les colonnes et méditait à loisir le diagramme qui en résultait. Cela valait mieux que de ranger des faits dans un cerveau toujours enclin à les mélanger, les oublier, les embellir et les solliciter.
    Tout de suite, il eut l’occasion de remplir les trois colonnes avec un élément inédit et déterminant. Arsène Champigny revint des enquêtes dont il avait été chargé. Au commissariat des Grands-Augustins, il avait retrouvé un inspecteur de l’époque, promu au grade de commissaire. Le 19 avril 1906, Pierre Leclair s’était présenté spontanément au commissariat, sans avoir été convoqué par téléphone. Il se trouvait « par hasard » dans les environs, avait eu son attention attirée par l’attroupement et avait suivi le corps jusqu’au commissariat.
    — Je pense, patron, qu’il suivait à distance le professeur Curie. Soit que l’état de faiblesse et de dépression de celui-ci ait inquiété son entourage au point qu’il soit surveillé en permanence. Soit qu’il ait été menacé par un ennemi. Soit encore que Pierre Leclair l’ait filé pour rendre compte. Il faisait le pied de grue dans la rue grouillante de circulation, mais ne confondons pas des grues qui rouillent et des rues qui grouillent !
    — Rendre compte à qui et de quoi ?
    Arsène hésitait. Il possédait assez les arcanes de la République pour pressentir que la fonction de professeur à la Sorbonne rangeait les titulaires de ce titre au rang de demi-dieux. Raoul perçut cette hésitation qui rejoignait la sienne. Il fallait que certaines paroles soient prononcées entre eux deux, pour que l’hypothèse impensable soit formulée clairement. Mais il préférait que ce soit son subordonné qui le fît. Pour lui, Pierre et Marie Curie avaient été et demeuraient encore des figures tutélaires. Parmi d’autres professeurs, Pierre avait été son père scientifique. Or, Raoul s’était toujours abstenu d’attribuer à ses propres parents quelque écart que ce soit par rapport à la morale la plus exigeante.
    Félicie frappa à la porte. On venait d’apporter un pneumatique. Il provenait d’Élisabeth Greffulhe, cousine de Raoul, qui le priait à dîner. « Il est indispensable que tu sois là. »
    Arsène Champigny résuma la situation.
    — Pierre Leclair ne se serait pas présenté au commissariat s’il avait été mêlé à un meurtre, ne serait-ce que comme complice ou comme guetteur. Encore moins comme acteur. Il suivait le professeur Curie pour le protéger ou pour l’espionner. Par exemple, à la demande de Marie Curie qui aurait été jalouse.
    — Est-ce le genre de service que l’on demande à un collaborateur ?
    — C’est difficile à imaginer, patron. Mais nous avons affaire à des gens tellement bizarres ! Peut-être Pierre Leclair agissait-il de son propre chef. Ou encore n’est-ce pas une affaire de mœurs, mais d’espionnage, pas un secret d’alcôve, mais une nouvelle arme. Ne confondons pas bidet de bronze et bidon de braise.
    — Toujours est-il qu’il se trouvait là où il n’aurait pas dû être. Il s’est présenté pour reconnaître le corps, et non pas comme témoin de l’accident, si c’en fut un. Tout est possible à partir de maintenant. Merci, Champigny, tu peux disposer. Ce soir, je dîne dehors. Si Félicie et toi voulez sortir, vous êtes libres. Ne m’attendez pas.
    Maintenant, Raoul devait penser l’impensable et imaginer l’inimaginable. Le mensonge de Pierre Leclair foisonnait dans toutes les directions comme un nuage noir, qui envahit l’horizon un soir d’été, jusqu’à recouvrir le ciel et déclencher un orage. Il avait besoin d’un conseil et d’un réconfort. Il savait où trouver l’un et l’autre, car c’était le premier mardi du mois et il avait un rendez-vous arrangé depuis toujours, avant même de se rendre au dîner impromptu de sa

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