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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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Curie, la police se soumettra évidemment au souhait de la République de garder ce vilain secret d’État, tandis que mon journal remplira sa fonction d’informer et de dévoiler à l’opinion publique toute la vérité, ce complot fomenté par les francs-maçons, les Juifs, la haute finance et l’étranger. La République paraîtra enfin pour ce qu’elle est, une gueuse, et le roi comme le seul recours.
    Comme Élisabeth s’apprêtait à répliquer, Daudet se leva, s’inclina profondément, remercia pour l’excellente soirée et pria de l’excuser car son travail de rédacteur en chef le sollicitait. Il disparut dans l’ombre précédé par le maître d’hôtel qui portait un luminaire. L’abbé Mugnier tira la conclusion de la soirée :
    — J’ai toujours pensé que sa haine des Juifs provient d’une ascendance juive qu’il tient à cacher, à se nier à lui-même. Son Action française est bien l’héritière du gallicanisme, le catholicisme français sans christianisme, la religion sans la foi, l’amour de la patrie confondu avec la haine de l’étranger. Les membres de ce mouvement cherchent une revanche pour l’affaire Dreyfus qu’ils n’ont pas supportée.
    Le silence revint. Il frit rompu par Élisabeth Greffulhe qui émit une remarque pouvant paraître futile :
    — En 1908, lors de la première leçon à la Sorbonne de Marie Curie, j’étais au premier rang. J’avais coupé et confectionné moi-même mon chapeau. C’était tout ce que je pouvais faire de mes mains pour lui témoigner mon admiration et ma reconnaissance. Ni elle ni moi n’avons même le droit de voter, mais elle est montée jusqu’au sommet de l’Université, ce que j’aurais été bien incapable de faire. Je fais et je défais les gouvernements, mais je n’en ferai jamais partie. Peut-être, un jour, sera-ce une fille de Marie Curie !

IV
    Marguerite Borel occupait avec son mari Émile, mathématicien, directeur de l’École normale, l’appartement de fonction de la rue d’Ulm. Elle y tenait tellement de place, elle y attirait tellement de monde que les visiteurs finissaient par se comporter comme si Émile Borel n’eût été que le prince consort de la reine Marguerite et que cette école prestigieuse existât dans le seul but d’offrir, à l’épouse de son directeur, un lieu adéquat pour y tenir salon.
    Le cercle amical de Marguerite constituait la négation des cénacles distingués d’Élisabeth Greffulhe ou de Laure de Chevigné. Chez ces dames altières, on enterrait un passé prestigieux, celui de la cour de France, en commémorant les fastes ultimes d’une monarchie défunte. Chez Marguerite Borel, on célébrait l’arrivée d’un monde nouveau, où les savants ne seraient plus les domestiques des aristocrates. On y rencontrait plus de chercheurs que de poètes, plus d’universitaires que de banquiers, plus d’épouses de professeurs que de demi-mondaines. Les vestons noirs de cheviotte, râpés et luisants, les toilettes bon marché de coton remplaçaient les habits et les robes de soie à la dernière mode. Un verre de blanc ou une bière tenaient lieu de champagne, une petite bonne bretonne de maître d’hôtel. La compagnie était restreinte, parfois réduite au tête-à-tête entre Marguerite et un invité, venu confesser son désarroi.
    Raoul avait fréquenté régulièrement le salon de la rue d’Ulm pour se tenir au courant de tout ce qui se découvrait à la Sorbonne durant cette période saisissante. On y rencontrait non seulement les Curie, mais aussi Becquerel, Poincaré, Perrin, Langevin ; les visiteurs étrangers surtout anglais, Kelvin, le Hollandais Lorentz ; Soddy ; le Néo-Zélandais Rutherford ; aucun Allemand ou Autrichien, car cela aurait été très mal vu ; point d’Italien ou d’Espagnol car ces nations étaient plongées dans une somnolence scientifique profonde ; parfois un Russe totalement égaré. Paris constituait le nœud d’un vaste écheveau mondial qui tissait la trame du siècle à venir. Bien que Marguerite n’entendît pas grand-chose aux conversations de ses invités, elle se consolait par une formule : « Les fleurs non plus ne comprennent pas. Elles n’ont pas besoin de cela. »
    Elle se rattrapait en observant tout ce petit monde académique, perdu dans ses obsessions intellectuelles. Sans doute était-elle la seule à ne pas les prendre trop au sérieux et à les considérer comme des hommes et des femmes ordinaires, avec

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