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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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le seul homme battu de toute la France. C’est un génie, un doux, un rêveur. Je n’ai d’ailleurs jamais rencontré sa femme, qu’il n’exhibe pas. Il doit avoir honte de sa conversation et elle doit éprouver le même sentiment.
    — Vous m’apprenez ce que je ne pouvais même pas imaginer, relança Raoul aussi neutre que possible.
    — Paul Langevin a naturellement cherché des consolations. Ici pour commencer, sans en trouver, dit-elle en rassemblant ses pieds sous sa jupe dans un mouvement réflexe. Car si j’écoute tout le monde avec le sourire, je reste distante. L’adultère mondain n’est pas ma tasse de thé, je trouve cela vraiment vulgaire et ennuyeux. En revanche, Marie Curie est libre depuis 1906. C’est une amie que j’aime et que je respecte, non seulement pour son génie mais aussi pour sa nature tendre et aimante, à mille lieues de ce que son comportement laisse croire dans le milieu universitaire. Et donc, ce n’est pas un ragot. Marie aime Paul, qui a quelque peine à aimer qui que ce soit.
    — Mais cette relation entre Langevin et Marie Curie est-elle récente ?
    — Oui et non. Vous participiez à la petite réception donnée en juin 1903, trois ans avant l’accident de Pierre, par Paul Langevin en l’honneur de Marie lorsque celle-ci a présenté sa thèse. D’après moi, tout a commencé à ce moment-là. Pierre Curie a considéré le doctorat de Marie comme une corvée universitaire parmi d’autres, méritant tout juste que l’on boive un verre dans une brasserie du boulevard Saint-Germain en sortant de la soutenance. En revanche, Langevin a pris une initiative, qui ne lui appartenait pas du tout et qui est apparue révélatrice à plus d’un convive. Il a organisé une véritable fête. Cela en valait la peine. C’était la première fois qu’une femme présentait un doctorat à la Sorbonne. Pierre n’a pas réalisé qu’il ne suffisait pas d’accorder ce doctorat pour que la bénéficiaire se sente comblée. Il fallait marquer le coup. Paul l’avait senti. Pierre était fasciné par Marie, mais il ne la comprenait pas.
    « Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : de cette soirée ne date pas un adultère, mais naît un sentiment de Marie pour Paul, fait de pitié pour la vie familiale qu’il mène, d’admiration pour son génie, de crainte qu’il ne s’effondre. Une femme est toujours sensible à l’attention que lui porte un homme, surtout si elle a épousé un mari distrait et Dieu sait si Pierre était distrait.
    « Cette amitié, comme toutes celles qui naissent entre une femme et un homme, s’est muée lentement en amour et a franchi le pas des aveux lorsque Pierre est mort. L’amour que portait Marie à son époux s’est éteint paisiblement comme la flamme d’une bougie qui se consume jusqu’au bout, au terme d’une agonie dont j’ai été témoin et que des âmes superficielles et grossières ne peuvent imaginer. Aujourd’hui surgit en plein jour une histoire d’amour déchirante entre deux êtres d’élite, encombrés par leur intelligence, gauches mais sincères, Paul toujours aussi mou, ayant cherché et trouvé une femme dure, Marie, mais d’une dureté toute différente de celle de son épouse. Marie ne le pousse pas à gagner de l’argent, mais à libérer son esprit pour se concentrer sur son travail. C’est-à-dire à se séparer de sa femme.
    — En êtes-vous certaine ?
    — Oui. Nous étions à Gênes voici quelques mois pour un congrès, dans le même hôtel. Marie m’a demandé de la retrouver dans sa chambre où elle m’a tenu un discours exalté, en me suppliant d’agir de mon côté pour convaincre Paul Langevin de se séparer de sa femme. Elle m’a dit et répété qu’il fallait le sauver de lui-même, c’est-à-dire de son caractère mou, indécis, faible. C’est un génie en science et un ignorant des choses les plus ordinaires de la vie. D’ailleurs, il n’est pas une exception : il se conforme plutôt à la règle.
    Marguerite vrilla son regard dans celui de Raoul, qui se sentit soudain épinglé comme un papillon sur un bouchon de liège. Que révélait, sur son caractère à lui, la relation insensée qu’il supportait avec Florence de Luces ? Il était bien pareil à Langevin. Il pouvait comprendre ce que ressentait celui-ci. Combien Langevin avait été tenté par une liaison avec Marie Curie, femme volontaire et énergique. Combien lui-même, Raoul Thibaut de Mézières, aspirait

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