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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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plus remis les pieds ici. Je le lui ai interdit.
    Il s’arrêta comme épuisé et jeta un regard désespéré vers son tortionnaire en espérant en avoir assez dit pour que la séance s’arrête. Raoul ne le lâcha pas :
    — Qu’est-ce qui vous autorise à interdire au professeur Langevin de venir dans le laboratoire de Marie Curie, alors qu’elle et lui sont des collègues qui se connaissent depuis longtemps, qui ont enseigné à Sèvres ensemble ? Alors que Paul Langevin est le successeur de Pierre Curie à l’École de physique ? Si Mme Curie ne veut plus voir Langevin, elle est assez grande pour le lui signifier elle-même !
    — Je sens que cela tournera mal. Mme Curie est trop bonne. Elle ne doit pas perdre son temps avec ce personnage. Il n’est pas correct.
    — Qu’est-ce que vous voulez dire ?
    — Rien d’autre. C’est un sentiment. Cela ne se commande pas.
    Raoul avait une question sur le bout de la langue mais il se garda bien de la poser. Elle aurait déclenché une crise de colère et d’indignation. Il revint au premier objet de la discussion :
    — Est-ce qu’il serait possible de faire venir Pierre Leclair pour qu’il me précise ce qu’il faisait exactement rue Dauphine au moment de l’accident ? Et puis encore pourquoi il ne me l’a pas dit lorsque je l’ai interrogé mardi ?
    — Non, ce n’est pas possible. Pierre Leclair est parti en congé.
    — Tout d’un coup ?
    — Il a avancé la date de ses vacances parce que l’entretien qu’il a eu avec vous l’a profondément bouleversé. Il n’était plus capable de travailler. J’ai accédé à son désir, bien normal.
    — Où puis-je le trouver ?
    — Je n’en sais rien. Il est retourné en province dans sa famille. Il n’a pas laissé d’adresse.
    — Et quand revient-il ?
    — Je n’en sais pas davantage. Il a demandé à partir en congé sans traitement. Compte tenu de son ancienneté, il peut ne revenir que dans deux ou trois mois. Un an peut-être s’il demande une mise en disponibilité sans salaire.
    André Lebirne triomphait, car la contrariété se lisait sur le visage de Raoul malgré les efforts de celui-ci pour la dissimuler. Le témoin principal avait disparu, peut-être pour toujours, alors que Raoul l’avait eu à sa merci. Lebirne se permit de sourire au point d’irriter Raoul qui sortit de ses gonds :
    — Monsieur Lebirne, je suppose qu’après cet interrogatoire, puisqu’il faut bien l’appeler par ce nom, vous prendrez aussi de longues vacances en un lieu non précisé ?
    — Non. Je suis responsable du laboratoire jusqu’au retour de Mme Curie, fin août. Nous sommes engagés dans la fabrication d’un échantillon de radium pur. Cela passe avant toute autre chose.
    — Savez-vous où je pourrais trouver Mme Curie ?
    — Oui, mais je ne vous le dirai pas, car elle souhaite se reposer et n’être pas dérangée.
    — Si la police judiciaire vous pose cette question, donnerez-vous la même réponse ?
    — Oui. Même si on me menace de prison, je tiendrai la promesse faite à Marie.
    Il avait dit « Marie » sans s’en rendre compte. Cela suffisait à Raoul. Il ne tirerait rien de plus du personnage. Il n’en avait plus besoin. Il le quitta sans le saluer.
     
    Raoul déjeuna de côtelettes de veau à la provençale au café Voltaire, place de l’Odéon. Puis il se replia vers son appartement de la rue Georges-Ville en empruntant à nouveau le métro. Arsène Champigny disposait de la Peugeot depuis tôt le matin afin de repérer et d’interroger les autres témoins de l’accident. En l’attendant, pour tuer intelligemment le temps, Raoul passa en revue la décoration de son bureau, parce qu’il aimait en changer régulièrement. Cela lui donnait l’occasion de goûter à loisir ces peintures que le brouhaha des salons empêche d’apprécier.
    Il était un grand amateur de dessins. Toute la surface des murs, au-dessus des lambris et des portes, en était tapissée, avec leurs cadres dorés ou en acajou. Bien que le support fut essentiellement du papier, il possédait aussi deux dessins hollandais du XVII e sur vélin. Toutes les techniques des siècles passés étaient représentées et parfois mélangées : lavis de bistre, pierre noire, crayons, sanguine, encre brune, plume, aquarelle, rehauts de blanc. L’ensemble rassemblait de nébuleuses scènes bibliques ou de sanguinolentes illustrations de légendes romaines. Par endroits, l’œil se

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