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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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l’Académie des sciences avait exacerbé les oppositions à sa personne et que la droite rassemblait un dossier contre elle en la faisant suivre pour découvrir la nature de ses relations avec Paul Langevin. Marie se rebiffa :
    — Je crois qu’il n’existe pas de rapport entre mon travail scientifique et les événements de ma vie privée. Par principe, je ne puis accepter que l’appréciation de mon travail dépende en quoi que ce soit des indiscrétions ou des racontars propagés par des malveillants. On m’a souvent demandé comment il est possible de concilier une carrière scientifique avec la charge d’une famille. Eh bien, cela n’a pas été facile. Mais j’estime avoir réussi l’éducation de mes filles qui est, après mon travail, ma principale préoccupation. Je n’ai qu’un conseil à donner à tous ces messieurs : soyez moins curieux des personnes et davantage des idées !
    Raoul fit encore quelques pas avant de répondre :
    — Vous avez affaire à des gens qui ne savent pas ce que c’est que le commencement d’une idée.
    — Nous devons tous croire que nous sommes doués pour quelque chose et que cela doit être obtenu quel qu’en soit le coût. J’ai appris que le chemin du progrès n’est pas rapide ou facile, mais que c’est le seul qui ne nous conduise pas à la perte. Je ne parviens pas à imaginer ce que peut être l’existence de ces gens dont vous parlez, je ne parviens pas à croire à leur existence.
    — Et cependant, madame, ils sont nombreux et tenaces. Ils n’ont rien d’autre à faire que de promouvoir leur personne en dépréciant les autres. Vous constituez, avec votre défunt mari, un véritable reproche vivant à l’égard des mondains, des politiciens, des journalistes et des académiciens. Ils ne peuvent que vous rejeter. Leur but est le pouvoir ou l’argent, ce qui revient au même. Votre désintéressement leur fait mal.
    — Je vous l’accorde ! L’humanité a besoin d’entrepreneurs qui visent à profiter de leur travail et qui défendent leurs intérêts personnels sans oublier le bien général. Mais l’humanité a aussi besoin de rêveurs, pour lesquels le développement d’un projet est tellement captivant qu’il devient impossible pour eux de se consacrer à leur profit matériel. Bien sûr, ces rêveurs ne méritent pas la fortune puisqu’ils ne la recherchent pas. Néanmoins, une société bien organisée devrait assurer à ce genre particulier de travailleurs les moyens d’accomplir leur tâche, dans une vie dénuée de soucis matériels et librement consacrée à la recherche. On le comprend pour les religieux, on ne le comprend pas pour les scientifiques. Albert Einstein a transporté ses bagages, de son appartement à la gare, dans une charrette à bras lors de son déménagement de Berne à Zurich. Il n’avait pas de quoi payer un déménageur.
    — Ceux ou celles qui pratiquent la religion comme vous pratiquez la science sont persécutés et même mis à mort. On s’en prendra non seulement à votre réputation, mais aussi à votre personne. La mort de votre mari devient maintenant l’objet de rumeurs infâmes.
    Marie éclata en sanglots contenus et s’enfuit vers l’auberge. Raoul ne parvint pas à la rattraper. Quand il déboucha dans la salle, Einstein et l’aubergiste étaient toujours accoudés au bar. Ils avaient sans doute vu le désarroi de Marie et regardèrent Raoul avec réprobation. Einstein l’arrêta au passage :
    — Attention, mon ami, à ce que vous faites ! Marie Curie est, de tous les gens célèbres, la seule personne que la célébrité n’a pas corrompue. Je l’aime et je la respecte, je me réjouis de passer quelques jours avec elle pour jeter un coup d’œil dans son for intérieur, là où tout commence à mitonner en silence. Il vaudrait mieux que vous rentriez à Paris, si l’effet de votre séjour est aussi désastreux.
    Raoul s’inclina, regagna sa chambre et repartit pour Paris dès l’aube du lendemain. Il passa le reste des vacances à Deauville à souffrir entre les mains de Florence et de sa mère. Souvent il pensait à Marie, puis il éprouvait du remords à l’égard de Florence. Ses amours avaient la propriété d’une goutte de mercure dans la paume de la main. Aussi longtemps que celle-ci était ouverte, le mercure demeurait en place. Il suffisait de serrer la main pour qu’il s’échappe.

VII
    En septembre 1910, Marie Curie et André Lebirne réussirent, pour

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