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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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étaient arrivés au sommet de la côte. Les enfants et Marie attendaient devant la porte avant de sonner la cloche. Un domestique coupait des bûches avec entrain. Einstein fit encore une remarque sentencieuse :
    — Les gens adorent couper du bois parce que dans cette activité on voit tout de suite le résultat. Réfléchir est moins gratifiant.
    Sur cette pensée profonde, ils furent accueillis par un majordome anglais qui leur fit visiter le château du haut en bas. Lord Seymour avait décoré les pièces de faux meubles gothiques, réinventés par les décorateurs à l’inspiration romantique. Cela ressemblait à l’ameublement des châteaux délirants que Louis II de Bavière s’était fait construire en vue de recréer l’univers de Wagner, un univers maladif qui dérivait vers la folie et la mort. Finalement le majordome, imperturbable, les fit asseoir dans une pièce où se trouvait un orgue gigantesque.
    Après une attente interminable, Lord Seymour apparut, vêtu bizarrement d’un costume Renaissance en soie grenat, salua à distance, se mit au clavier et produisit un tapage considérable. Il y avait de tout sur son orgue : une batterie, des cloches, des soufflets pour imiter le vent, une grande tôle qui imitait le tonnerre en vibrant. Cet homme qui s’ennuyait, loin de Londres, s’était fait construire un monstrueux jouet, sur lequel il croyait réinventer l’art. Il devait sans doute écrire ses Mémoires en s’imaginant qu’il léguerait une œuvre immortelle à l’humanité en faisant assaut d’excentricité. Dans ses traits, Raoul reconnut le désespoir de l’amateur blasé qui a fait le tour de tous les plaisirs et qui avait probablement quitté Londres pour avoir abusé de certains, réprouvés par la loi britannique, intransigeante sur l’homosexualité.
    Après son récital, il salua avec la fausse modestie de l’amateur qui attend d’être reconnu comme artiste, puis s’avança vers ses visiteurs. Raoul fit les présentations. Lord Seymour eut la bonté de s’intéresser aux travaux des deux savants et de feindre une curiosité qu’il n’éprouvait pas. Comme la matinée touchait à sa fin, il fit servir un verre de sherry, une boisson fade au point que les Andalous s’en débarrassent en l’exportant vers le Nord. Raoul craignit un instant que cet apéritif dénué de chaleur fut le prélude à une invitation à un déjeuner qui eût sans doute été immangeable. Mais Lord Seymour avait une autre idée en tête. Il entraîna tout le monde dans la crypte où se trouvait son sarcophage douillet.
    Il entreprit de raconter la légende de Dracula aux enfants dans un mélange détonnant d’anglais, de français et d’allemand. Marie paraissait franchement gênée et inquiète. Einstein riait au contraire. Les enfants semblaient intéressés par cette histoire invraisemblable, qui recoupait les contes de fées dont ils avaient été nourris.
    Enfin, Lord Seymour dépassa les bornes en accrochant à sa mâchoire supérieure, déjà proéminente, une sorte de râtelier avec deux canines gigantesques qu’il trempa dans un liquide sanguinolent pour faire bonne mesure. Il s’allongea dans le sépulcre et expliqua qu’après sa mort son majordome avait pour instructions de lui enfoncer un pieu en bois dans la poitrine, ainsi que l’attestaient pieu et maillet accrochés au mur comme une panoplie. Quand il commença à raconter que le vampire ne se nourrissait que du sang de vierges en jetant des regards féroces sur la gouvernante, sur Irène et Ève, Marie le remercia sèchement et sortit en entraînant tout le monde, y compris Hans Albert, qui s’inquiétait de savoir ce qu’était une vierge. La sortie de cette visite instructive prit donc l’allure d’une fuite et la descente du sentier escarpé celle d’une avalanche.
     
    Ils trouvèrent une auberge à Tarasp, la seule, disposée stratégiquement face à l’entrée du château. Comme il faisait beau, ils s’assirent à l’extérieur : à cette altitude la température restait agréable malgré un soleil éblouissant.
    Une serveuse, au tablier immaculé, leur apporta un plat de viande séchée, de lard et de jambon avec force cornichons et petits oignons, sans qu’il fût nécessaire de le commander. Puis deux grands bols de fondue avec un vin blanc insipide. Arsène, assis en bout de table, se gaussait visiblement de cette cuisine sommaire. Raoul lui fit signe de demeurer coi et de ne pas se livrer à

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