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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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attend, je le crains.
    Raoul se garda bien de mentionner le contrordre tacite qu’il avait reçu lors des préparatifs du 14 Juillet, ainsi que son rapport du mois d’août dont le président n’avait manifestement pas pris connaissance. Fallières était familier du fait. Comme il exécrait lire les montagnes de paperasses qui lui étaient soumises tous les matins, il avait coutume au retour de vacances de ne pas s’atteler à la tâche surhumaine de résorber le retard. Son secrétaire privé avait pour mission de parcourir le fatras du mois d’août, d’en extraire les seuls documents officiels sur lesquels la signature du président était indispensable et de jeter tout le reste. Tel avait été sans doute le sort du rapport de Raoul. Mais il n’était pas question de confronter le président avec son incurie coutumière. Comme tous les nonchalants, Fallières se gaussait des gens trop consciencieux et prétendait qu’avec un peu d’intelligence, celle qu’il s’attribuait modestement, on pouvait se dispenser de beaucoup de travaux inutiles.
    — Monsieur le président, je n’ai pas négligé cette affaire. J’y ai consacré l’essentiel de l’été. Je puis vous résumer ce que j’ai découvert en quelques minutes.
    — Résumez, résumez, mon jeunami, répliqua Fallières manifestement agacé.
    — Un seul point est certain : il existe une liaison entre Marie Curie et Paul Langevin qui a abandonné le domicile conjugal et vit dans un appartement proche du laboratoire de Marie Curie. Celle-ci vient le retrouver presque tous les soirs et ne rentre plus chez elle à Sceaux que par le dernier train, en négligeant donc ses filles qui sont abandonnées entre les mains d’une gouvernante polonaise. Paul Langevin visite sa famille à Fontenay-aux-Roses le dimanche. S’il ne s’agissait que de cela, cette affaire se liquiderait par le divorce des Langevin. Comme la correspondance des deux intéressés est systématiquement interceptée et photographiée par la préfecture de police, on sait aussi que c’est Marie Curie qui presse Paul Langevin de se séparer définitivement de sa femme et de ses quatre enfants. Cela ouvre naturellement une perspective inédite sur une femme qui est présentée jusqu’à présent au public comme une sainte laïque, ascétique, géniale, désintéressée et même désincarnée. La Jeanne d’Arc de la Sorbonne ! Cela étant, en toute rigueur, nous n’avons aucune preuve que la relation entre les deux savants soit physique. Ce n’est peut-être pas un adultère mais une amitié amoureuse, une camaraderie scientifique…
    Raoul n’en croyait rien, mais il avait été impressionné par la réaction de l’abbé Mugnier à ce sujet. Marie et Langevin méritaient le bénéfice du doute. La calomnie était un très vilain péché et la médisance à peine moins condamnable. Fallières fit une grimace tellement horrible qu’elle déforma la couche de graisse qui capitonnait ses traits habituellement inexpressifs.
    — Voudriez-vous dire, mon jeunami, qu’ils ne couchent pas ?
    — Je n’en sais justement rien, mais c’est possible.
    — C’est encore pire que ce que j’imaginais, gronda Fallières sérieusement indigné. Ce Langevin doit être un pervers. Il a peut-être des mœurs contre nature et s’adonne à l’amour qui n’ose pas dire son nom. Je méprise les hommes qui n’honorent pas leurs amoureuses. Une femme, voyez-vous, c’est fragile, cela n’a que son corps à offrir. Et s’il est refusé, quelle souffrance.
    « Mais cela n’arrange rien. Le scandale sera le même, dès que la liaison sera découverte. Les journalistes ne couperont pas les cheveux en quatre et le public non plus. La Sorbonne passera pour un antre de débauche dont les femmes devraient être écartées, car elles y sèment le désordre. Les idées républicaines seront déconsidérées. Avez-vous tenté de mettre un terme à cette situation ?
    — Oui. J’ai suivi Marie Curie en vacances et j’ai eu l’occasion de la prévenir du complot qui se trame contre elle. Je lui ai remis en main propre votre lettre et elle connaît donc votre sentiment sur cette affaire. Mais elle n’a rien voulu entendre. Selon elle, sa vie privée ne regarde qu’elle-même et n’a rien à voir avec sa carrière scientifique. Elle m’a cité le cas de collègues masculins qui entretiennent des maîtresses, au vu et au su de tout le monde, d’autres qui fréquentent les maisons

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