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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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journalistes leur font peut-être dire ce qu’ils souhaitent.
    — Mais, patron, les originaux sont déjà à notre disposition ! Vous avez demandé que la préfecture de police intercepte tout le courrier échangé entre Langevin et Curie pour en faire des copies et vérifier si l’on n’a pas affaire à de l’espionnage.
    Raoul fut foudroyé sur place. Il existait une autre explication à laquelle il n’avait jamais pensé. Elle était simple au point que son évidence la dissimulait à toute réflexion. Les copies des lettres pouvaient avoir été diffusées dans la presse par la préfecture de police. Et, dans ce cas, l’assassin de Pierre Curie se trouvait parmi ceux qui auraient dû le découvrir.

IX
    Le lendemain de cette conversation, au petit matin gris et frisquet du 25 novembre, Raoul se trouvait bien embarrassé et mortellement inquiet au stade du Parc-des-Princes, en tant que témoin contre son gré du duel de tous les périls, qui allait opposer Paul Langevin et le journaliste Gustave Téry. En toutes circonstances, il réprouvait cette pratique, imitée de l’Ancien Régime et détournée par de petits-bourgeois, minables et maladroits, sans honneur à défendre et sans maîtrise des armes.
    Ses ancêtres à lui en avaient usé et abusé dans l’armée du roi, où elle était autorisée, banale, voire organisée comme un rite de passage pour les cadets. À la cour, elle avait sévi jusqu’en 1627, lorsque Richelieu la réprima en la sanctionnant par la peine de mort. Entre des aristocrates entraînés par tradition au métier des armes, qui faisaient bon marché de leur vie en l’exposant sur le champ de bataille, un duel pouvait encore avoir une certaine signification, voire un intérêt du point de vue des arts martiaux. Mais ce qui allait se passer ici n’en avait aucune. Seul un enchevêtrement de circonstances incohérentes était à la base de cette rencontre.
    Comme les journaux évoquaient de plus en plus la mort étrange, inexplicable de Pierre Curie, qui projetait une ombre tragique sur la liaison de sa veuve avec Langevin, les journalistes s’étaient lancés dans une surenchère absurde, qui risquait de faire d’autres morts. Cela commença à l’épée par Léon Daudet, de L’Action française , contre Henri Chervet, du Gil Blas  : le premier reçut au coude une blessure de six centimètres de profondeur. Celle-ci retarda son duel suivant, déjà programmé, contre Saul Merzbach, toujours du Gil Blas. Le rédacteur en chef de ce journal, Pierre Mortier, fut à son tour provoqué en duel à l’épée par Gustave Téry et légèrement blessé.
    Le Temps parlait de ces duels entre gens du monde comme s’il s’était agi d’une rixe au couteau entre apaches à Barbès-Rochechouart. En revanche, Le Figaro rendit compte de ces assauts avec un flegme total, comme il l’aurait fait de matchs de tennis au bois de Boulogne ou à Wimbledon. La règle voulait que le duel fut arrêté à la première égratignure. Dans la mesure où les adversaires n’avaient que des notions sommaires d’escrime et agitaient leurs lames comme si c’étaient des plumeaux, les duels à l’épée se terminaient sans grands dommages dès que la maladresse de l’un donnait à l’autre l’occasion de s’estimer satisfait. Le but réel d’un duel était de se faire de la publicité, de promouvoir sa carrière d’homme public, politicien, journaliste ou artiste.
    Comme Paul Langevin s’estimait insulté par Téry, qui l’avait traité de « mufle et de lâche », et comme ce dernier s’était déjà battu contre un journaliste, l’amant supposé de Marie se sentit contraint d’en faire au moins autant, soit pour prouver son amour, soit pour laver son honneur, sans qu’il parvienne lui-même à démêler la proportion de chacune des deux motivations extravagantes. Solennel et emprunté, il parut à la porte de l’appartement de fonction des Borel, rue d’Ulm, où Marie s’était réfugiée, pour annoncer sur un ton funèbre qu’il avait décidé de provoquer Téry en duel, que c’était évidemment idiot mais qu’il fallait cependant qu’il sacrifiât à cette coutume.
    Marie refusa de le rencontrer, et Langevin, tenu par sa déclaration téméraire, s’occupa toute la journée du 24 novembre de trouver deux témoins. La plupart de ses collègues déclinèrent l’invitation. Autant les journalistes se battaient pour améliorer le tirage de leur gazette, autant les professeurs

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