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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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répugnaient à cette simagrée. Finalement, Paul Painlevé, mathématicien de génie, député à la Chambre pour la ville de Paris, qui collaborait avec Langevin dans le projet de détection des sous-marins, se résigna à le seconder. Comme deuxième témoin, il suggéra Raoul Thibaut de Mézières, qui avait quelques notions des armes, puisqu’il était polytechnicien et capitaine de génie du cadre de réserve.
    Le soir du 24 novembre vers huit heures, Painlevé et Langevin vinrent donc sonner à la porte de l’appartement de la me Georges-Ville, pour solliciter l’assistance de Raoul. Lorsqu’ils arrivèrent dans un fiacre, noir et cahotant, semblable à une anticipation de corbillard, il faisait sombre et froid au-dehors. Cela ressemblait d’autant plus à un convoi funèbre que leur fiacre était suivi d’un autre, les policiers qui filaient Langevin ne le quittant pas d’un tour de roue. Arsène n’était toujours pas rentré. Ce fut donc Félicie qui ouvrit la porte et qui fit entrer les deux messieurs vêtus de noir, en jaquette et haut-de-forme, comme si la distinction de leur tenue atténuait la niaiserie de leur entreprise et le désagrément de leur démarche.
    La discussion se déroula au salon, où Raoul était en train de faire des gammes et des arpèges sur son Pleyel, pour s’occuper l’esprit en attendant le retour d’Arsène, parti depuis le matin à la recherche des originaux des lettres, qui étaient la cause de tout cet imbroglio. Ainsi qu’il estimait être de son devoir, Raoul tenta d’abord de persuader Langevin de renoncer à son projet. Puis, devant l’obstination de celui-ci, il céda. Langevin annonça alors son intention de se battre au pistolet, car il n’avait jamais pratiqué l’escrime. Raoul tenta à nouveau de le dissuader.
    À l’épée, le duelliste maladroit risquait une égratignure. Au pistolet, une balle malheureuse pouvait tuer. Cela s’était vu, cela risquait de se reproduire, même et surtout si les adversaires étaient de mauvais tireurs. Le hasard faisait parfois mal les choses. De bons tireurs obéissaient à la convention tacite qui voulait que l’on ne pointe pas pour tuer : encore fallait-il être capable de viser pour que la balle sifflât aux oreilles de l’adversaire et que l’honneur fut sauf. En revanche, les maladroits qui visaient mal pouvaient se trouver responsables d’une mort ou d’une blessure grave et la police ou les tribunaux intervenaient. Les juges républicains n’avaient que fort peu d’indulgence pour ce rite moyenâgeux et condamnaient même les témoins.
    Non seulement Langevin campa sur ses positions, mais il insista pour que les balles soient échangées à vingt-cinq pas, alors que la règle admettait jusqu’à trente-cinq. Cela augmentait les risques d’autant. Langevin avait-il vraiment envie de se faire tuer ? Finalement Raoul comprit qu’il ne le ferait pas changer d’avis. Il demanda quelques minutes de réflexion et passa dans son bureau pour appeler l’Élysée au téléphone. Il obtint presque tout de suite Fallières. Instruit des événements qui se préparaient, le président recommanda à Raoul d’accompagner Langevin et de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’accident mortel. En soupirant ostensiblement, Raoul donna son accord à cette mission impossible. Si un accident se produisait, il n’était pas sûr que Fallières le couvre : il risquait sa chère sinécure à l’Élysée dans cette vilaine affaire.
    Il prit dans son bureau une belle cassette d’acajou, gainée de maroquin rouge, contenant deux pistolets de duel fabriqués par Chaubert à Bordeaux selon le modèle 1816 du pistolet de cavalerie. Les pistolets avaient appartenu à son grand-père, officier chez les dragons. La cassette contenait tout le nécessaire : dosette, poire à poudre, huilier, cheminées, épinglettes, moule à balle, tournevis, maillet, marteau et deux baguettes. Tout le nécessaire pour bricoler une mort dans les règles de l’art avec des instruments de luxe. Il ne put résister au plaisir d’effleurer de l’index les canons rayés légèrement tromblonés et les fûts sculptés de palmettes. C’étaient de véritables bijoux d’armurerie. De même, on revêtait le grand uniforme et on mettait des gants blancs pour se battre à l’époque, car on ne mourait pas n’importe comment.
    De retour au salon, il s’efforça de transmettre à Langevin quelques recommandations élémentaires sur l’art

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