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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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notre raison, et si compatible avec nos besoins intellectuels, auxquels il se trouve si admirablement adapté ! Je crois qu on en aurait tout tiré : du bon travail commun, une bonne amitié solide, du courage dans l’existence et même de beaux enfants d’amour dans la plus belle acception de ce mot. Au revoir mon cher Paul, je prends ta chère tête dans mes deux mains pour la caresser doucement d’un sentiment tendre et maternel.
     
    Au moment où il achevait la lecture de ce torchon, Raoul reçut un coup de téléphone de Marguerite Borel. Celle-ci l’appelait parce que Marie était assiégée dans sa maison de Sceaux par une foule hostile, qui menaçait de briser les vitres et de lui faire un mauvais parti. Émile Borel demandait qu’il la protège, la tire de ce guêpier et l’amène rue d’Ulm, à l’École normale, où il était prêt à lui donner asile.
    Heureusement la Peugeot était rangée en face de l’appartement. Arsène la conduisit à fond de train jusqu’à Sceaux en moins d’un quart d’heure. Ils y arrivèrent à peu près en même temps qu’un taxi transportant Marguerite Borel et André Lebirne, la première toujours aussi calme, le second plus nerveux encore que d’habitude.
    Devant la grille de la maison, un groupe d’une trentaine d’hommes était rassemblé. Avec un certain ensemble, digne d’une meilleure cause, ils répétaient des slogans : « Dehors, l’étrangère ! La voleuse de maris ! » Des cailloux volaient vers la façade. Arsène évalua la situation en un clin d’œil et glissa à Raoul :
    — Ils sont payés, patron. Ils ont été recrutés à Paris et acheminés jusqu’ici. Ce ne sont pas des gens de Sceaux. Je m’en charge. Aucun danger, sinon pour les carreaux.
    Il sortit sa carte de police barrée d’un bandeau tricolore, enfermée dans une enveloppe de celluloïd, et, la brandissant devant lui, il se fraya un passage, suivi par Marguerite Borel et André Lebirne, qui pénétrèrent dans la maison. Arsène Champigny se planta devant la porte en lançant un regard inquisiteur sur les émeutiers. Le silence se fit. Les cailloux tombèrent à terre. Certains émeutiers tournèrent le dos car ils avaient déjà eu affaire à Champigny dans des circonstances peu glorieuses pour eux. Ils ne tenaient pas à être reconnus.
    Quelques minutes plus tard, Marie, blanche comme un linge, sortit de la maison en tenant Ève par la main. André Lebirne portait une valise et Marguerite Borel ouvrait la marche. Arsène ouvrit la grille et escorta les fuyards jusqu’au taxi qui démarra aussitôt. André Lebirne était resté sur le trottoir. Il vint vers Raoul :
    — Il faudrait que vous m’aidiez à retrouver la fille aînée. Irène est à une leçon de gymnastique.
    Ils partirent à trois dans la Peugeot, tandis que le groupe d’émeutiers se dispersait en direction de la gare. Ils arrivèrent en quelques minutes à la salle de l’école communale de Sceaux. Celle-ci était vide, à part Irène et une femme qui semblait être l’enseignante. Irène avait entre les mains le numéro de L’Œuvre. Elle ne pleurait pas, mais elle avait le même visage livide que sa mère. Lebirne la prit par la main et l’entraîna au-dehors. Raoul faillit d’abord les suivre pour fuir cette situation insupportable, mais il se ravisa et s’adressa à l’enseignante :
    — Comment ce torchon est-il parvenu entre les mains de cette enfant ?
    La femme eut un sourire mauvais :
    — Elle est assez grande pour savoir ce que vaut sa mère. J’ai cru bien faire en la prévenant.
    — Bien, répliqua Raoul. Je suis inspecteur de l’Instruction publique. Vous serez révoquée, comme sanction de ce que vous avez fait. J’y veillerai moi-même.
    Il tourna les talons et rejoignit la voiture en parvenant à grand-peine à se maîtriser. Il avait eu envie de souffleter l’enseignante. Il retourna à Paris, comme en songe, en tenant la main d’Irène. Lorsqu’ils arrivèrent rue d’Ulm, Émile et Marguerite Borel les attendaient sur le seuil. Irène se jeta dans les bras de Marie et pleura enfin.
     
    Dans le calme de son cabinet rue Georges-Ville, Raoul discuta de ce qu’il venait de découvrir avec Arsène Champigny.
    — Je les connais, ces braillards, patron ! Ils sont recrutés par la préfecture de police pour lancer des bagarres lors des manifestations. On leur donne cinq francs et un billet de chemin de fer aller-retour. Parmi eux se trouvent deux ou trois

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