La naissance du roi Arthur
réactions d’Ygerne. Il la trouva toute pensive et
se dit qu’elle commençait à être émue par l’insistance du roi.
Mais à la fin du repas, elle appela Urfin et lui dit :
« Urfin, ton maître m’a très perfidement envoyé une coupe et m’a forcée, à
cause de l’aveuglement de mon mari, à l’accepter devant tout le monde. Sache
bien que je vais révéler à mon mari ce que vous tramez, le roi et toi, contre
mon honneur. » Urfin lui répondit avec beaucoup d’ironie que lorsqu’une
femme fait ce genre de révélation à son époux, elle peut être assurée de ne
plus jamais avoir la confiance de celui-ci. « Au diable toutes ces
précautions ! dit Ygerne. Je te jure que je ferai comme je t’ai dit. Tu
peux prévenir ton maître et comploter de nouveaux pièges avec lui, je ne m’y
laisserai pas prendre ! » Et sur ce, elle quitta Urfin et rejoignit
la compagnie des femmes qui prenaient l’air sur la prairie devant la
forteresse.
Le roi avait fini de dîner. Tout joyeux, il prit le duc par
la main et lui dit : « Allons voir ces dames ! » –
« Bien volontiers », répondit le duc Gorlais. Ils sortirent de la
grande salle mais, passant par la porte, ils ne remarquèrent pas un jeune page
qui se tenait contre une tenture et qui ne pouvait s’empêcher de ricaner. Ils
allèrent donc rejoindre la compagnie des femmes. Ygerne savait très bien que le
roi n’était là que pour avoir l’occasion de la voir et de lui parler. Elle
supporta néanmoins sa présence jusqu’à la nuit tombée, quand les convives se
séparèrent pour aller dormir. Quand le duc Gorlais la rejoignit dans sa
chambre, il trouva Ygerne tout en larmes. Très surpris, il la prit dans ses
bras, car il l’aimait tendrement, et lui demanda ce qui lui causait un tel
chagrin. « Je ne peux rien te cacher, dit-elle, car je t’aime plus que
tout être au monde. » Elle lui raconta alors les manœuvres du roi Uther et
lui expliqua qu’il ne témoignait son estime et son affection au duc que pour
mieux s’approcher d’elle et la séduire. « De plus, ajouta Ygerne, tu m’as
obligée d’accepter sa coupe et d’y boire pour l’amour de lui, et cela
publiquement, quand on avait les yeux fixés sur moi ! Je t’assure, je ne
peux me défendre plus longtemps contre le roi et contre son conseiller, le
perfide Urfin. Pourtant, je sais que ce que je viens de te révéler ne peut nous
attirer que des malheurs, mais je n’en peux plus et je te demande de m’emmener
immédiatement loin d’ici ! »
Le duc Gorlais fut fort irrité en apprenant la façon dont il
avait été joué par le roi Uther. Il remercia sa femme en lui témoignant les
marques du profond amour qu’il lui portait et de l’estime dans laquelle il la
tenait. Puis, au cours de la nuit, il réunit tous ses hommes en secret. Ils
s’aperçurent bien vite de la colère de leur maître. « Seigneurs, leur dit
Gorlais, préparez-vous à partir immédiatement et sans que personne ne puisse
s’en apercevoir. Ne me posez pas de questions pour le moment, mais faites vite.
Prenez seulement vos armes et vos chevaux. Laissez tous vos bagages, car je
veux que le roi et le plus grand nombre de personnes possible ignorent tout de
notre départ ! »
Les ordres du duc furent suivis à la lettre et, le matin
suivant, les hommes de Gorlais, qu’il n’avait pas pu prévenir, ameutèrent toute
la ville en constatant que leur seigneur n’était plus là. C’est ainsi que le
roi Uther apprit le départ du duc de Tintagel. À vrai dire, il s’en moquait
éperdument, mais ce qui le chagrinait, c’était qu’il avait emmené avec lui la
belle Ygerne. Il passa par une période d’abattement, car l’image d’Ygerne le
poursuivait sans cesse, puis par une période de violence extrême où il menaçait
tous ceux qui se trouvaient près de lui. Maîtrisant enfin sa colère, il réunit
ses conseillers et ses barons et leur révéla que le duc Gorlais de Tintagel lui
avait causé une très grave offense en quittant la cour sans en avoir obtenu le
congé, de nuit et en cachette, comme un vulgaire malfaiteur qui fuit le lieu de
son crime. La plupart des barons lui dirent qu’ils étaient fortement surpris de
l’attitude du duc Gorlais, celui-ci étant, de l’avis général, d’une extrême
courtoisie et d’une grande fidélité à ses devoirs de vassal. « Il en est
pourtant ainsi ! s’écria Uther. Le duc Gorlais de Tintagel m’a gravement
offensé et je
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