La naissance du roi Arthur
grandement courroucé. « Tu as dû rêver », dit Uther. Ils
reprirent le chemin de la tente, mais comme ils marchaient, ils croisèrent un
infirme qui se tenait sur deux cannes. « Roi, lui dit l’infirme, donne-moi
quelque chose et, en échange, Dieu exaucera ton plus cher désir ! »
Mais Uther était tellement plongé dans sa tristesse qu’il ne fit pas attention
aux paroles de l’infirme avant d’être rentré sous sa tente. Alors, il se
rappela la voix de l’infirme et ce qu’il disait, et il éclata de rire, tandis
qu’Urfin se demandait si le roi n’était pas devenu fou. « Sais-tu qui est
l’homme qui t’a parlé sous l’apparence d’un vieillard chenu ? C’est
celui-là même que tu viens de voir sous l’aspect d’un infirme. » Urfin ne
cherchait même pas à comprendre. Il demanda simplement : « Mais qui
est-il donc ? » Le roi lui dit : « Apprends qu’il s’agit de
Merlin qui se moque ainsi de nous, comme il en a l’habitude. Je sais maintenant
qu’il viendra me parler incessamment, mais au moment où il le jugera
nécessaire. »
Effectivement, quelques instants plus tard, Merlin, sous la
forme qu’on lui connaissait, se présenta au camp et demanda à être reçu par le
roi Uther. Le roi ordonna qu’on le fît venir immédiatement. C’est ainsi que
Merlin pénétra dans la tente du roi. Il salua celui-ci et lui demanda s’il
avait vraiment besoin de lui. « Seigneur, lui dit alors Urfin, si tu es ce
qu’on prétend que tu es, fais quelque chose pour le roi, car il est malade de
l’amour d’Ygerne. » Merlin s’approcha d’Urfin : « Urfin, si le
roi accepte de jurer sur les saintes reliques qu’il me donnera ce que je lui
demanderai en temps opportun, sans qu’il n’en nuise aucunement à son honneur,
je l’aiderai à obtenir l’amour d’Ygerne. Mais il te faut, toi aussi, me prêter
ce serment. » – « Tout ce que tu voudras, pourvu que tu viennes en
aide au roi », répondit Urfin. Merlin répéta ses conditions à Uther, et
celui-ci les accepta sans restriction. « Eh bien ! dit Urfin,
maintenant, Merlin, indique-nous le moyen d’alléger les souffrances du
roi ! » Merlin se mit à rire et dit : « Ce ne sera pas
avant que les serments ne soient prononcés. »
Le roi fit apporter les reliquaires et Urfin et lui-même
jurèrent, en répétant les paroles de Merlin, que le roi donnerait au devin ce
qu’il lui demanderait au moment opportun. « Maintenant, dit Uther, je t’en
prie, Merlin, occupe-toi de ce qui me tourmente, car jamais homme au monde n’a
eu un tel besoin de secours ! » Merlin haussa les épaules et regarda
le roi droit dans les yeux. « Tu es adultère et déloyal, Uther. Je ne
devrais pas venir à ton aide, car ce que tu veux accomplir est injuste et
malhonnête. Mais pour des raisons que tu n’as pas à connaître, cette action
mauvaise en soi est nécessaire. Alors, écoutez-moi bien, tous les deux. Roi
Uther, pour te rendre auprès d’Ygerne et satisfaire ta honteuse passion, je ne
vois qu’un moyen : changer ton apparence. Ygerne est en effet la plus
vertueuse et la plus fidèle de toutes les femmes, et il ne servirait à rien
d’attenter à sa vertu, même par la force. C’est à la ruse et à mes pouvoirs
magiques qu’il faut avoir recours. Je vais te donner l’apparence du duc
Gorlais : ainsi, personne ne pourra te reconnaître. Je sais que deux
chevaliers sont très intimes avec le duc et sa femme. L’un se nomme Bretel et
l’autre Jourdain. Je donnerai à Urfin l’apparence de Jourdain, et moi, je
prendrai celle de Bretel. Ce soir, le duc Gorlais quittera la forteresse de
Tintagel pour tenter une action contre tes troupes. Pendant le temps qu’il sera
absent, nous approcherons de Tintagel et je me ferai ouvrir la porte. Tu
pourras alors pénétrer dans la demeure et y coucher avec Ygerne. Mais, au
matin, il nous faudra partir très tôt, car nous apprendrons des nouvelles qui
vous surprendront. Roi Uther, donne maintenant des ordres à tes troupes et à
tes barons afin d’interdire à quiconque d’approcher de Tintagel tant que nous
ne serons pas revenus. Et surtout, ne dites à personne d’autre où nous allons
et ce que nous avons l’intention de faire. Enfin, préparez-vous, car c’est en
cours de route que je changerai votre aspect. »
Le roi donna les ordres nécessaires et, la nuit venue, ils
se mirent en marche, le long de la côte, en direction de Tintagel.
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