La naissance du roi Arthur
mois
d’hiver [100] .
Antor voulait revenir dans sa forteresse de Kelliwic et y réunir ses gens pour
y célébrer la fête avec eux. La veille du départ, il y eut un grand banquet
pendant lequel le jeune Arthur n’eut d’yeux que pour la belle Anna. Et quand
fut venue l’heure d’aller se coucher, Arthur laissa Kaï et Bedwyr regagner la
chambre qu’il partageait avec eux et alla prendre l’air sur la prairie qui
entourait les maisons. Il allait et venait, un peu nerveux et fort triste de
quitter la cour du roi Loth, quand il aperçut Anna, toute seule, qui se
préparait à pénétrer dans son logis. Arthur sentit son cœur et son corps
s’embraser. Il se dirigea vers elle. Elle se retourna et le regarda avec une
grande intensité. Arthur s’approcha d’elle, ne sachant même plus ce qu’il
faisait, et lui saisit la main. Elle ne le repoussa pas, bien au contraire, car
elle le serra si fort qu’il faillit crier, et elle l’entraîna à l’intérieur de
ses appartements. Ce fut seulement au matin que le jeune Arthur alla s’étendre
aux côtés de Kaï et de Bedwyr qui dormaient d’un profond sommeil.
Et quand Antor et ses fils, qui partaient en compagnie de
Bedwyr, prirent congé de leurs hôtes, Merlin, qui se trouvait là, regarda
bizarrement le jeune Arthur, étonné de voir un tel mélange de gaucherie et de
détermination dans ses yeux qui étaient encore ceux d’un enfant. Mais il ne dit
rien, sachant très bien que cette nuit-là s’était accompli l’irréparable. Et
lui-même quitta la cour du roi Loth d’Orcanie quelques jours plus tard, assez
triste et désemparé, comme si de nouveau le ciel venait de s’entrouvrir sur sa
tête pour lui révéler le tragique destin du monde.
Il se rendit immédiatement à Carduel, mais le roi Uther
Pendragon ne s’y trouvait pas. Il venait de partir en hâte, avec une forte
troupe guerrière, pour s’opposer à un nouvel assaut des Saxons qui, cette fois,
étaient bien décidés à prendre leur revanche sur un roi qui les avait tant de
fois battus et rejetés à la mer. La rencontre fut rude et sanglante, et Uther,
qui n’avait plus sa vigueur d’autrefois, ne put se dérober davantage aux coups
mortels que tentaient de lui assener ses adversaires de toujours. Il fut
gravement blessé en plusieurs endroits du corps et tomba de son cheval,
demeurant immobile, dans l’herbe souillée de sang. Il savait qu’il était perdu
et était plein d’angoisse à la pensée qu’il allait bientôt mourir et qu’il
laissait le royaume sans héritier, sans défenseur, en proie à de nouveaux
déferlements de violence. Toute sa vie, il s’était battu pour débarrasser le
pays de tous les ennemis qui l’infestaient, et il sentait en lui-même une
grande lassitude, un grand désespoir. On le transporta dans une chapelle et on
l’étendit sur des couvertures, à même le sol. Il souffrait beaucoup de ses
blessures et demandait pardon à Dieu des fautes qu’il avait commises.
Soudain, ses yeux s’ouvrirent tout grands et il se mit à
sourire : Merlin était là, devant lui, comme autrefois. Il leva
péniblement son bras et sa main alla étreindre celle de Merlin.
« Merlin ! Merlin ! dit le roi, tu ne m’as donc pas
abandonné ! » – « Je ne t’ai jamais abandonné, roi Uther, même
lorsque je n’étais pas présent auprès de toi. Tu m’as donné ton amitié et ta
confiance, et je ne saurais en aucun cas m’y soustraire. » Le roi se redressa
quelque peu : « Mais alors, tout n’est pas perdu ! Que faut-il
faire, Merlin ? » – « Je vais te le dire : ordonne qu’on te
transporte sur une litière et fais-toi conduire près de tes troupes afin que
chaque combattant sache que le roi se trouve parmi eux et qu’il les entraîne
vers la victoire. Je te promets que tes ennemis seront tués ou mis en
déroute. »
« Mais, dit encore Uther, vivrai-je assez pour
connaître cette victoire ? » – « Oui, affirma Merlin, et tout
l’honneur en sera pour toi. » On plaça donc le roi sur une litière que
l’on porta à travers les prés non loin du lieu de la bataille, sur un tertre
d’où l’on pouvait observer tout ce qui se passait. Uther avait repris un peu de
force et il s’assit. Mais la vue de la bataille ne fit qu’accentuer son chagrin
et des larmes coulèrent sur ses joues. « Merlin, dit-il, je n’ai pas été
un bon roi. Je n’ai pas réussi à ramener la paix dans mon royaume. » –
« Tu as fait ce que
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