La naissance du roi Arthur
et chacun de ses membres, du sommet de son crâne à ses
pieds, était aussi noir que du charbon. Comme la queue d’un cheval sauvage
était la crinière grise et hérissée qui formait la partie haute de sa
chevelure. Les branches vertes d’un chêne auraient pu être coupées par la
faucille de dents vertes et sombres qui se trouvaient dans sa bouche dont les
lèvres s’ouvraient jusqu’aux oreilles. Elle avait des yeux énormes et fumeux,
un nez crochu et creux. Son corps était fibreux, recouvert de pustules, comme
atteint d’une maladie incurable, et la puanteur qui s’en dégageait était
insupportable. Ses tibias étaient tout crochus, tout de travers. Ses chevilles
étaient épaisses, ses épaules larges, ses genoux très gros, ses ongles verts.
Horrible et répugnant était l’aspect de cette femme.
Kaï lui demanda cependant : « Femme, pourrais-je
puiser de l’eau dans ce puits pour moi et mes deux compagnons ? Nous avons
perdu nos chevaux et nous souffrons de la soif dans cette lande
déserte ! » La femme répondit : « Je te le permettrai bien
volontiers si, auparavant, tu me donnes un baiser sur la joue. » Une telle
réponse horrifia Kaï : « Non ! » s’écria-t-il. –
« Alors, tu n’auras pas d’eau ! » dit la femme. Kaï tenta de
prendre la cruche, mais d’un coup de genou la femme le fit tomber de tout son
long sur le sol, où il se blessa durement contre des roches très coupantes. Kaï
se releva et dit en maugréant : « Je préfère périr de soif plutôt que
te donner un baiser, et sache que je ne le ferai pas même pour trouver le
trésor le plus fabuleux du monde. » La femme se mit à ricaner :
« Il n’y a pas de trésor plus précieux que l’eau », dit-elle. Mais
Kaï retourna auprès de ses compagnons.
« As-tu trouvé de l’eau ? » demanda Bedwyr.
« Non ! » répondit simplement Kaï. Et il s’assit. « Je vais
donc y aller moi aussi ! » dit Bedwyr. Il marcha pendant un assez
long temps et vit la femme qui était si laide. Mais, pas plus que Kaï, Bedwyr
ne voulut consentir à donner un baiser à cet être monstrueux. Il revint donc
auprès de ses compagnons. « Eh bien ! dit Arthur, je crois que c’est
à moi de tenter ma chance ! »
Il prit le même chemin que Kaï et Bedwyr, puis il aperçut la
femme laide. « Peux-tu me donner de l’eau ? » demanda poliment
Arthur. – « Très volontiers, répondit-elle, mais à la condition
qu’auparavant tu me donnes un baiser sur la joue ! » – « Qu’à
cela ne tienne, dit Arthur. Je veux bien te donner un baiser, et coucher avec
toi si tu le désires ! » Et il se jeta sur la vieille femme, la
renversant sous lui.
Mais au moment où il lui donnait le baiser promis, il
s’aperçut qu’il tenait dans ses bras la plus belle fille qui eût jamais été par
le monde, la plus aimable et la plus souriante. Chaque partie de son corps, de
la tête aux pieds, était semblable à de la neige sur le bord d’un fossé. Elle
avait des avant-bras potelés comme ceux d’une reine, des doigts longs et fins,
des mollets étroits et de belle couleur. Deux solides chaussures de bronze
blanc maintenaient ses pieds blancs, doux et minces. Un somptueux manteau
pourpre la recouvrait, fermé par une broche d’argent brillant. Elle avait des
dents de perle rayonnantes de lumière, un œil large de reine, des lèvres rouges
comme des framboises.
« Oh ! une fille aux multiples
aspects ! » s’écria le jeune homme. – « C’est vrai »,
répondit-elle. – « Qui es-tu donc ? » demanda Arthur. –
« Je suis Souveraineté, dit-elle, mais je n’apparais sous cet aspect qu’à
ceux qui le méritent. » Puis elle ajouta : « Va maintenant vers
tes compagnons, et prends au passage vos chevaux qui sont à l’abri sous un
rocher, sur le rivage. Apporte-leur de l’eau dans cette cruche, mais ne leur en
donne pas tant qu’ils ne t’auront point fait un don, celui d’obéissance et de
respect. » Arthur quitta la femme, tout pensif, emportant la cruche d’eau.
Il retrouva les chevaux et les ramena vers Kaï et Bedwyr. Mais il ne leur donna
de l’eau que lorsqu’ils eurent fait le serment de lui obéir et de lui marquer
leur respect. Après quoi, ils montèrent sur leurs chevaux et regagnèrent la
cour du roi Loth [99] .
Cependant l’automne s’avançait et l’on approchait de la
Toussaint, ce qui était la fête de la fin de l’été et de l’entrée dans les
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