La naissance du roi Arthur
t’endormir,
prends soin de placer une cuve d’eau froide à côté de toi : quand tu
sentiras que le sommeil t’envahit, jette-toi dans la cuve. »
Ainsi parla Llevelys à son frère Lludd. Et Lludd retourna
dans son pays. Aussitôt, il invita à sa cour tout son peuple et tous les gens
de la race des Corannieit. Il broya dans l’eau les insectes que lui avait
donnés Llevelys et il jeta cette eau indistinctement sur tous. Immédiatement,
toute la tribu des Corannieit fut détruite sans qu’aucun des Bretons n’éprouvât
le moindre mal. Alors Lludd fit mesurer l’île de Bretagne de long en large et
trouva le point central à Oxford. Il fit creuser un trou, y déposa une cuve
d’hydromel, et tout se passa comme l’avait prévu Llevelys. Quand les dragons
furent endormis, Lludd les fit transporter dans l’endroit le plus sûr qu’il put
trouver, c’est-à-dire dans les montagnes d’Éryri, au lieu qu’on appelle
aujourd’hui Dinas Enrys [28] .
C’est ainsi que cessa le cri violent qui troublait tout le royaume.
Quand il eut accompli ces actes, Lludd fit préparer un grand
festin. Quand tout fut prêt, il fit placer près de lui une cuve pleine d’eau froide,
et dès que la nuit fut tombée, il se mit aux aguets. Il entendit alors des
récits charmants et extraordinaires, une musique douce et variée, et il sentit
qu’il ne pourrait plus résister au sommeil. Il se précipita alors dans la cuve
d’eau froide, ce qui le réveilla complètement. C’est ainsi qu’il put voir un
homme de très grande taille, couvert d’armes lourdes et solides, qui entrait,
portant un panier dans lequel il se mit à entasser toutes les provisions. Puis,
quand le panier fut rempli, le grand homme sortit. Et ce qui étonnait le plus
Lludd, c’était que tant de choses pussent tenir dans un si petit panier [29] .
Mais il se lança à la poursuite de l’homme. Un furieux combat s’engagea entre
eux et des étincelles jaillirent de leurs armes. À la fin, Lludd eut le dessus
et renversa son adversaire qui lui demanda grâce. Lludd lui dit :
« Comment pourrais-je te faire grâce après toutes les pertes et tous les
affronts que tu m’as infligés ? » L’autre répondit : « Tout
ce que je t’ai fait perdre, je saurai t’en dédommager entièrement. Je ne
commettrai jamais plus d’injustice envers toi et je serai désormais ton vassal
le plus fidèle. » Ainsi en fut-il. Et, jusqu’à la fin de sa vie, Lludd,
fils de Beli, gouverna l’île de Bretagne dans la paix et la prospérité [30] .
Quand Lludd mourut, il laissait deux fils qui étaient encore
très jeunes, et le pouvoir royal fut confié à leur oncle Casswallawn, lui-même
fils de Beli. C’était l’époque où les Romains se lançaient à la conquête du
monde. Quand ils eurent soumis les peuples de la Gaule, ils envoyèrent des
ambassadeurs aux Bretons pour leur réclamer des otages et un tribut, comme ils
le faisaient pour toutes les nations sur lesquelles ils voulaient assurer leur
domination. Casswallawn reçut les envoyés de Julius Caesar, le chef des
Romains, et, ayant écouté leurs paroles, il entra dans une grande fureur. Et
voici la réponse qu’il leur fit : « Casswallawn, roi des Bretons, à
Caius Julius Caesar. La cupidité du peuple romain, Caesar, est merveilleuse. Ce
peuple est assoiffé de n’importe quoi, pourvu que ce soit de l’or ou de
l’argent, et il ne peut supporter que nous soyons chez nous, aux extrémités les
plus dangereuses du grand océan, au bout du monde. Il ne veut pas nous laisser
tranquilles à moins que nous ne consentions à payer tribut sur tout ce que nous
possédons. Mais le peuple romain se trompe s’il prétend nous intimider par de
vaines paroles : en vérité, nous ne nous contenterons jamais d’une liberté
soumise à la sujétion, car elle ne serait qu’un esclavage perpétuel. »
Lorsqu’il reçut cette réponse impertinente, Julius Caesar
fut de plus en plus décidé à envahir l’île de Bretagne. Il rassembla une grande
flotte et, après avoir traversé la mer, il s’engagea dans l’embouchure de la
Tamise. Le roi de Bretagne avait cependant eu le temps de convoquer de
nombreuses troupes, et il marcha à la rencontre des Romains en compagnie de son
frère Ninnyaw et de ses deux neveux, fils de Lludd. La bataille fut terrible.
Ninnyaw se mesura en personne avec Julius Caesar, s’empara de son épée et fit
périr le tribun Labienus. Les Romains n’eurent plus qu’à
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