La naissance du roi Arthur
qui sont toute clarté et toute
légèreté montèrent vers le ciel tandis que l’eau et la terre, qui sont pesantes
choses, tombèrent vers le bas. Mais comme ces éléments avaient si longtemps été
amalgamés, quelques-unes des propriétés de l’un se retrouvaient souvent dans un
autre. Lorsque le Créateur purifia l’air et le feu de toutes les parcelles de
terre et d’eau qui les encombraient, ainsi que la terre et l’eau de tout ce qui
était céleste, les résidus formèrent une sorte de masse, trop pesante pour
s’élever dans les airs, trop légère pour rester à terre, trop sèche pour se
joindre à l’eau, trop humide pour se confondre au feu. Et cette masse se mit à
flotter dans l’univers, jusqu’à ce qu’elle parvînt au-dessus de la mer
d’Occident, entre l’île Onagrine et le port aux Tigres. Il se trouve, à cet
endroit, dans la terre, une immense quantité d’aimant dont la force était telle
qu’elle attira et retint les parties ferrugineuses de cette masse, mais
cependant insuffisante pour en empêcher les parties de feu et d’air d’entraîner
la masse vers le ciel. Et cette masse demeura à la surface de la mer, se
mettant à pivoter sur elle-même selon le mouvement des astres. C’est pourquoi
les gens de ce pays l’appelèrent « île », parce qu’elle était au
milieu de l’eau, et « tournoyante » parce qu’elle était instable et
virait sans cesse. C’est là que Nascien fut déposé, évanoui, par la main
mystérieuse qui l’avait enlevé de Sarras.
Quand il reprit conscience, il ne vit autour de lui que le
ciel et l’eau, car ni herbe ni plante ne pouvaient pousser sur cette matière.
Alors il se mit à genoux, la tête du côté de l’orient, et pria Notre Seigneur.
Lorsqu’il se releva, il vit approcher sur la mer une nef très haute et
richement parée qui se dirigeait vers l’île. Elle y accosta, et Nascien, après
avoir fait le signe de la croix, y pénétra. Il n’y découvrit âme qui vive. Il
vit cependant un lit magnifique, sur le chevet duquel gisait, à demi dégainée,
l’épée la plus belle et la plus précieuse qui eût jamais existé, à cela près
que les renges , ou attaches, étaient inhabituelles et bien pauvres par
rapport au reste ; elles semblaient en effet être en étoupe de chanvre, et
elles étaient si faibles qu’elles n’auraient même pas pu supporter le poids de
l’épée et du fourreau. Et sur la lame, il y avait des lettres gravées qui
avertissaient qu’elle ne pourrait être retirée que par le meilleur chevalier de
tous les temps, et que les renges seraient un jour remplacées par une jeune
fille vierge de la race de Salomon. Et, autour du lit, se trouvaient trois
fuseaux de bois : l’un était blanc comme neige, le second vermeil comme le
sang, le troisième vert comme l’émeraude. Mais voici quelle était l’origine de
cette nef et des objets merveilleux qu’elle contenait :
Au temps où Adam et Ève, après avoir mangé, sur les conseils
du Serpent, le fruit de l’Arbre de la Connaissance, furent chassés du jardin
d’Éden par l’archange au glaive de feu, ils emportèrent avec eux deux choses
que Dieu leur avait permis de prendre, afin qu’ils eussent toujours devant les
yeux l’image de ce qu’ils venaient de perdre. Ces deux choses, c’étaient la
belle émeraude qui était tombée du front de Lucifer, et une branche de l’Arbre
de la Connaissance, la branche même où pendait la pomme dont ils avaient goûté.
Et quand ils furent sur la terre, travaillant celle-ci avec beaucoup de peine
pour se procurer une maigre nourriture, Ève planta le rameau près de l’endroit
où ils dormaient à même le sol. Or, le rameau s’enracina et il crût avec tant
de force et de rapidité qu’il devint bientôt un très bel arbre dont la tige,
les branches et les feuilles étaient blanches comme la neige qui vient de
tomber. Mais quand Adam, sur l’ordre de Dieu, eut connu Ève et engendré Abel,
l’arbre devint vert comme l’herbe des prés. Et plus tard, lorsque Abel eut été
tué par son frère Caïn, l’arbre changea encore de couleur et devint rouge comme
le sang. Désormais, il n’y eut pas d’arbre si merveilleux dans le monde entier.
Cependant, il ne porta jamais plus ni fleur ni fruit, et tous les rameaux qu’on
en détachait pour les planter en terre se desséchèrent.
Arriva le temps du roi Salomon. Celui-ci était sage et avisé
et il avait connaissance des secrets de la
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