La naissance du roi Arthur
nature, de la force des herbes, des
vertus des pierres, du cours des planètes et de toutes les choses qu’il ne faut
pas divulguer au commun des mortels. Mais, comme tous les autres hommes, le roi
Salomon était faible : il fut séduit par la beauté d’une femme pour
laquelle il commit de grandes fautes contre Dieu. Et pourtant, cette femme le
trompait honteusement. Salomon le savait et en ressentait beaucoup d’amertume,
au point d’écrire, dans son livre qu’on appelle Paraboles ,
des réflexions très désagréables à propos des femmes. Or, la nuit suivante, il
entendit une voix qui lui disait : « Salomon, n’aie point de mépris
pour les femmes. Certes, c’est la première femme qui a apporté le malheur à
l’homme, mais c’est une autre femme qui lui rendra le bonheur en donnant
naissance à un fils qui sauvera le monde. Et cette femme sera de ton
lignage. »
Salomon se mit à réfléchir et à scruter les divins secrets
et les Écritures. Il finit par découvrir des prophéties très anciennes qui
annonçaient qu’un de ses descendants dépasserait en valeur et en générosité
tous ceux qui l’auraient précédé. Salomon en fut tout réconforté, mais ce qui
le chagrinait, c’était non seulement de ne pas pouvoir connaître ce chevalier
si preux qui devait sortir de sa lignée, mais encore de ne pas savoir comment
faire connaître à ce chevalier qu’il avait deviné sa venue. Il eut cependant
l’idée de consulter la femme qu’il aimait, car celle-ci, toute perverse et
rusée qu’elle était, possédait une grande intelligence pour les choses les plus
secrètes de la nature. Il alla la trouver et lui dévoila ce qui le chagrinait
ainsi. La femme se recueillit un moment, puis elle dit à Salomon :
« Je sais ce que tu dois faire. Rassemble tes charpentiers et fais-leur
construire une haute nef dans un bois qui ne puisse pourrir avant quatre mille
ans. Ensuite, tu iras au temple que tu as fait construire, et tu y prendras
l’épée du roi David, ton père. Tu en retireras la lame qui est la plus
tranchante et la mieux forgée qui ait jamais été et, grâce à ta science de la
force des herbes et des vertus des pierres, tu muniras cette épée d’un fourreau
sans pareil et d’un pommeau fait de pierreries diverses, mais si habilement
composé qu’il paraisse d’une seule gemme. Quant à moi, j’y ajouterai des renges
de chanvre si faibles qu’elles ne pourront que rompre sous son poids. Plus
tard, une demoiselle remplacera ces renges, et ainsi réparera-t-elle ce que
j’ai mal fait, comme la Vierge à venir amendera le méfait de notre première
mère. »
Six mois plus tard, le navire était construit et l’épée,
ornée par les soins de Salomon, fut placée sur un riche lit de parade. C’est
alors que la femme déclara qu’il y manquait quelque chose. Elle commanda aux
charpentiers d’aller couper dans l’arbre merveilleux et dans ceux qui en
étaient issus un fuseau rouge, un fuseau vert et un fuseau blanc. Or, aux
premiers coups qu’ils donnèrent dans les arbres, les charpentiers furent
épouvantés parce qu’ils voyaient les arbres saigner. Mais la femme exigea
qu’ils finissent leur travail, et c’est ainsi que les fuseaux furent plantés
dans le lit. Puis Salomon grava sur la lame des lettres qui interdisaient de
retirer l’épée de son fourreau à tout chevalier qui ne serait pas le meilleur
des meilleurs. Enfin, on mit la nef à la mer. Bientôt, le vent gonfla les
voiles et la nef quitta le port pour disparaître à l’horizon. Et personne ne
revit plus cette nef avant Nascien, quand il fut dans l’île Tournoyante.
Tandis que Nascien s’émerveillait à contempler la nef,
l’épée et les fuseaux, un grand vent s’était levé, qui devint une violente
tempête, et la nef se trouva emportée à une vitesse effroyable sur les flots
déchaînés. La tourmente dura près de huit jours pendant lesquels Nascien ne
cessa de prier Dieu, de telle sorte qu’il ne souffrit ni de la faim, ni de la
soif, ni de la peur d’être englouti. Le neuvième jour, la mer redevint calme et
le soleil se mit à briller. Nascien s’endormit paisiblement à l’intérieur de la
nef, et pendant son sommeil il crut voir un homme vêtu de rouge, qui
s’approchait de lui et prononçait ces paroles : « Nascien, sache que
tu ne reviendras jamais dans ta cité de Sarras. Tu resteras dans la terre
d’occident où tu vas. Mais quand trois cents ans se seront écoulés,
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