La naissance du roi Arthur
jours, sans
souffrir de quoi que ce fût, en toute aise et confort.
Mais peu de temps après, il arriva une grande merveille. Une
nuit où il ne pouvait pas dormir, Mordrain fut pris d’un tel désir de
contempler le Graal qu’il se leva et entra en cachette dans la chambre où l’on
avait placé la coupe d’émeraude. Il lui sembla entendre autour de lui des voix
qui chantaient en grande harmonie, et aussi un bruit d’ailes aussi fort que si
tous les oiseaux du monde s’étaient rassemblés en cet endroit. Il s’avança vers
le Graal et souleva l’étoffe qui le recouvrait. Mais au même instant, une lumière
si vive qu’elle était insoutenable le frappa au visage de telle sorte qu’il
devint aveugle. Et une voix se fit entendre, venant de très loin :
« Mordrain, tu es trop hardi. Jamais les merveilles du Saint-Graal ne
seront contemplées par un seul homme mortel avant que ne vienne le Bon
Chevalier, celui par qui la chevalerie terrienne deviendra céleste. Et sache
que tu ne mourras pas, car tu dois expier par une vie prolongée la faute que tu
viens de commettre, et cela jusqu’au jour où le Bon Chevalier te rendra la
vue. » Et depuis cette nuit-là, on ne connut plus Mordrain autrement que
sous le nom de Roi Méhaigné.
Joseph, Joséphé et leurs compagnons errèrent tant qu’ils
parvinrent dans le royaume des Écossais. Là, un soir, à souper, ceux qui
pouvaient y être admis s’assirent à la Table du Graal. Mais, parmi les autres,
il y en eut deux, Siméon et Chanaan, qui se sentaient exclus et s’en
désespéraient. C’est alors que l’Ennemi entra dans leur cœur et dans leur
corps. Quand tout le monde fut endormi, ils prirent des épées très tranchantes,
puis Chanaan vint couper la tête de ses douze frères, tandis que Siméon
frappait son cousin Pierron. Mais l’épée dévia et Pierron ne fut que blessé.
C’est ce Pierron qui, plus tard, convertit le roi d’Orcanie et en épousa la
fille, et c’est à son lignage qu’appartinrent plus tard le roi Loth d’Orcanie
et son fils Gauvain, le neveu du roi Arthur.
Siméon et Chanaan furent jugés, et comme leur crime était
odieux du fait qu’ils avaient attaqué lâchement leurs victimes durant leur
sommeil, ils furent condamnés à être enterrés vifs. Mais, pendant qu’on
creusait leurs fosses, on vit venir deux hommes vermeils comme la flamme, qui
volaient dans les airs comme des oiseaux et qui enlevèrent Siméon. Quant à
Chanaan, il fut enseveli vivant, suivant le jugement prononcé, et autour, on
enterra ses douze frères, chacun d’eux avec son épée, comme il se doit pour de
preux chevaliers. Or, le lendemain matin, on vit que la tombe de Chanaan
flambait comme un buisson ardent tandis que les douze épées de ses frères
étaient dressées vers le ciel. Alors ils reprirent tous leur chemin, à la
recherche du lieu auquel ils devaient parvenir, c’est-à-dire aux vaux d’Avalon.
Mais les pays qu’ils traversaient étaient rudes, et ils endurèrent de grandes
souffrances, tant par le froid que par le manque de nourriture.
Car seuls pouvaient se nourrir du Graal ceux qui avaient le
cœur suffisamment pur pour être admis à s’asseoir à sa table. Les autres se
nourrissaient comme ils pouvaient. Or, un jour qu’ils se trouvaient en une
terre déserte, la nourriture manqua complètement et, malgré tous leurs efforts,
ils ne purent rien trouver à manger. Alors Joséphé dit à son jeune frère, qui
avait nom Alain le Gros, d’aller pêcher dans un étang proche. Le jeune homme
jeta son filet et ne prit qu’un seul poisson. Il faisait froid, et Alain le
Gros sentait ses doigts s’engourdir. Pris de pitié, Joséphé ne voulut pas que
son frère lançât de nouveau le filet. Il s’agenouilla devant le Graal et
demeura longtemps en prières et oraisons, de telle sorte que bientôt le poisson
foisonna, et que tous ceux qui avaient faim purent être rassasiés. C’est en
mémoire de ce miracle qu’Alain le Gros fut surnommé le Riche Pêcheur, et c’est
un nom qu’il transmit ensuite à tous ses descendants.
De nombreuses années avaient passé depuis que Joseph
d’Arimathie avait quitté la terre de Judée. Il était vieux et faible, et il
n’avait pas encore trouvé le chemin qui menait aux vaux d’Avalon. Il en vint au
moment où il devait quitter ce monde. Il mourut à Galafort, entre les bras de
son fils l’évêque Joséphé. Joséphé en fut très triste, et avec lui tous ceux
qui avaient
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