La naissance du roi Arthur
autre fils, le moins favorisé de
tous les enfants de ce pays : non seulement il était laid et repoussant,
mais il n’avait aucune intelligence et tous les autres se moquaient de lui,
tout en plaignant les parents d’avoir mis au monde un tel monstre.
C’est pourquoi Keridwen se résolut à utiliser sa science
pour corriger les déficiences que la nature avait infligées à son fils. Elle
étudia longtemps dans les livres et finit par découvrir un moyen pour donner à
son fils une intelligence qui fût bien supérieure à celle des autres hommes.
Elle se retira dans une forêt et entreprit de faire bouillir un chaudron de
science et d’inspiration, à l’aide de plantes qu’elle alla cueillir elle-même,
la nuit, à la lumière de la lune, sur les pentes des collines. Quand elle eut
réuni ces plantes, elle composa son mélange et en remplit un chaudron qu’elle
mit sur le feu. Mais il fallait que le feu ne s’interrompît point pendant un an
et un jour : le breuvage devait bouillir ainsi jusqu’à ce que fussent
obtenues trois gouttes magiques de grâce et d’inspiration.
Mais comme elle ne pouvait pas toujours être présente, elle
chargea un jeune homme du nom de Gwyon le Petit de surveiller nuit et jour la
cuisson du chaudron, et un pauvre aveugle qu’on appelait Morda d’activer
constamment le feu au-dessous du chaudron. Elle-même, selon les préceptes
qu’elle connaissait, suivant les heures et les conjonctions des planètes, s’en
allait cueillir d’autres plantes afin que rien ne manquât dans le breuvage
ainsi préparé. Gwyon et Morda s’acquittaient fort bien de leur tâche et
Keridwen se réjouissait à la pensée qu’elle allait pouvoir bientôt faire de son
fils l’être le plus intelligent et le plus sage qui fût au monde.
Or, un soir, vers la fin de l’année, alors que Keridwen
était dans la forêt, cueillant des plantes et se livrant à des incantations
magiques, il arriva que trois gouttes du liquide contenu dans le chaudron
coulèrent sur les doigts de Gwyon. Le jeune homme poussa un grand cri, car la
chaleur de ces gouttes était intense et, immédiatement, pour calmer sa douleur,
il porta ses doigts à sa bouche. Et à l’instant même où il absorbait les
gouttes du breuvage, il eut la vision de toutes les choses présentes et à venir,
comme si l’univers tout entier était devenu un livre qu’il pouvait lire. Mais
il vit également qu’il avait tout à craindre de Keridwen, car grande était
l’habileté de celle-ci, et ses artifices puissants et imparables. Il en fut
très effrayé et s’enfuit dans les bois. Quant au chaudron, il se brisa en deux
et le liquide se répandit dans la rivière. Or, comme en dehors des trois
gouttes qu’avait absorbées Gwyon le Petit ce liquide était un violent poison,
tous les animaux qui vinrent boire dans la rivière cette nuit-là périrent
subitement.
C’est alors que revint Keridwen. Elle vit le chaudron brisé
et fut désespérée en constatant que tous ses efforts de l’année écoulée avaient
été inutiles. En proie à une grande fureur, elle saisit un morceau de bois et en
frappa l’aveugle Morda si fort que ses yeux lui tombèrent sur les joues.
« Tu m’as défiguré sans raison, dit l’aveugle, car ce n’est pas moi le
responsable. » Keridwen répondit : « Tu dis vrai, Morda. C’est
Gwyon le Petit qui est responsable de ce désastre ! » Et elle se
précipita à la recherche du jeune homme, bien décidée à lui faire payer très
cher l’échec de son projet.
Cependant, Gwyon l’aperçut, courant dans sa direction. Comme
il possédait maintenant tous les secrets de la nature, il se changea en lièvre
et disparut dans les taillis. Mais Keridwen se changea en lévrier et courut de
plus belle à sa poursuite. Elle était sur le point de le rattraper auprès d’un
étang quand Gwyon se changea en poisson et se précipita dans les eaux. Alors,
sans perdre de temps, Keridwen prit la forme d’une loutre, plongea et le
pourchassa sous les eaux, tant et si bien qu’il dut lui-même se changer en
oiseau. Elle le suivit alors sous l’apparence d’un faucon et ne lui laissa
aucun répit dans le ciel. Au moment où Keridwen allait fondre sur lui, il
aperçut un tas de grains qu’on venait de battre sur l’aire d’une grange. Il se
précipita dans la grange et se changea en grain de blé, se dissimulant ainsi
parmi les autres grains. Mais alors, Keridwen prit la forme d’une poule
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