La naissance du roi Arthur
dit : « Je te remercie, ami, de ta loyauté. Non seulement tu as
subi maintes mésaventures en obéissant fidèlement aux ordres que je t’avais
donnés, mais tu nous les racontes avec une franchise qui t’honore et te rend
digne de mon amitié. Mais puis-je te dire, Kynon, que tu es passé bien près de
Merlin sans le voir ni le reconnaître ? Car enfin, il est évident que cet
Homme Sauvage qui gardait les bêtes féroces dans la clairière n’était autre que
celui que je t’avais envoyé chercher. Il ne voulait pas qu’on pût le
reconnaître et il a modifié son aspect pour te mettre à l’épreuve. Il t’a même
envoyé à la fontaine magique qui fait pleuvoir pour savoir si tu étais capable
de dénouer les enchantements qu’il suscite dans la forêt. Merlin m’est souvent
apparu comme un Homme Sauvage, fruste et grossier, mais c’est pour mieux
tromper son monde et sonder les intentions de ceux qui viennent s’adresser à
lui. »
Kynon, fils de Klydno, faisait piteuse mine, mais personne,
dans l’assemblée, n’osait se moquer de lui, car chacun était persuadé, au fond
de lui-même, que, placé dans les mêmes circonstances, il aurait agi de même et
n’eût point reconnu Merlin dans ce gardien des bêtes sauvages. « Et
qu’as-tu fait ensuite ? » demanda Uther Pendragon à Kynon.
« Seigneur roi, répondit Kynon, je ne pouvais plus rien pour ton service.
Privé de mon cheval que le cavalier noir avait emmené triomphalement, je repris
le chemin en sens inverse, mais à pied cette fois. Je retrouvai le gardien des
bêtes sauvages dans la clairière, mais je n’avais nulle envie de lui parler,
car il m’aurait couvert de railleries. Ne m’avait-il pas prévenu qu’il ne
m’arriverait rien de bon en allant jusqu’à la fontaine ? Je repris mon
chemin vers la forteresse où j’avais passé la nuit. Mes hôtes se montrèrent
encore plus aimables et courtois que la veille. On me fit faire bonne chère et
je pus parler à mon gré avec les hommes et les jeunes filles. Mais personne ne
me demanda ce qui s’était passé durant la journée, personne ne fit la moindre
allusion à l’Homme Sauvage ou à la fontaine qui fait pleuvoir. D’ailleurs, je
n’avais nulle envie d’en parler moi-même. Je passai la nuit dans la forteresse
et, le lendemain matin, lorsque je descendis dans la cour, je m’aperçus que
toute la forteresse était vide. Il n’y avait plus personne et tout paraissait
désert et abandonné, comme si mes hôtes de la veille n’avaient jamais existé
que dans un rêve. Par contre, je trouvai un cheval attaché au gros arbre de la
cour, un palefroi brun foncé, à la crinière toute rouge, aussi rouge que la
pourpre, et complètement équipé. C’est ainsi que j’ai pu revenir rapidement te
rendre compte de ma mission, roi Uther. Tu pourras voir ce cheval, il se trouve
actuellement dans ta propre écurie. »
Uther Pendragon réfléchit un instant, puis il dit à
Kynon : « N’aie aucune amertume de ce qui t’est arrivé, Kynon, car
j’en ai subi autant de la part de Merlin. Sache que tout ce que tu as vécu
n’était qu’illusion, et que Merlin, qui sait parfaitement que j’ai besoin de
lui, m’envoie cet avertissement pour me signifier que les temps ne sont pas
encore venus pour qu’il vienne vers moi. »
Ainsi parla Uther Pendragon, roi de Bretagne. Et tous ceux
qui l’entendirent comprirent que c’est sur eux que reposait le sort du royaume [66] .
CHAPITRE VIII
Le Chef des Bardes
Dans le temps où naissait Merlin, il y avait, dans le petit
royaume de Penllyn, un homme riche et de bonne réputation qui portait le nom de
Tegid le Chauve. Sa demeure se trouvait au milieu du lac Tegid, dans une
forteresse qu’il avait fait construire pour se protéger, ainsi que tous les
siens, des Pictes et des Saxons qui ravageaient le pays [67] . La femme de Tegid se nommait
Keridwen : elle était d’une grande beauté, mais de plus, elle avait la
connaissance de tous les secrets de la nature, et l’on répétait partout que
c’était une puissante magicienne capable de soulever les tempêtes et de détourner
les astres de leur cours. Tegid et Keridwen avaient eu une fille à qui ils
avaient donné le nom de Creirwy, c’est-à-dire « Joyau », parce
qu’elle était très belle, et un fils qui portait le nom de Morvran,
c’est-à-dire « Corbeau de Mer », parce qu’il était très laid et très
noir de peau. Mais ils avaient eu également un
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