La naissance du roi Arthur
noire
surmontée d’une haute crête et, en grattant de ses pattes, elle découvrit le
grain et l’avala. Puis elle reprit son aspect de femme et retourna dans la
forteresse du lac Tegid.
Mais l’histoire raconte encore que, cette nuit-là, Keridwen
devint enceinte. Elle savait bien que ce n’était pas d’avoir eu des rapports
avec un homme, et c’est pourquoi elle s’efforça de cacher son état le plus
longtemps possible. Et quand le terme approcha, elle se retira dans un endroit
secret qu’elle était seule à connaître. C’est là qu’elle accoucha d’un garçon.
Mais l’enfant était si beau et si bien formé qu’elle n’eut pas le courage de le
tuer : elle l’enferma dans un sac de peau et le jeta à la mer, à la grâce
de Dieu, le dernier soir du mois d’avril [68] .
Les flots roulèrent longtemps le sac, la nuit durant,
jusqu’à parvenir au large du pays du roi Gwyddno. Or, il existait une coutume
dans ce pays : chaque matin de premier mai, le roi faisait jeter son filet
dans la mer, entre la rivière Tewy et sa forteresse d’Aberystwyth. Le soir, on
retirait le filet et celui-ci contenait quelque cent livres de poissons, que
l’on distribuait ensuite à tous les pauvres du royaume. Gwyddno avait un fils
unique du nom d’Elffin, mais celui-ci semblait marqué par un mauvais destin,
car rien de ce qu’il entreprenait ne lui réussissait : c’était le plus
malheureux et le plus infortuné de tous les jeunes gens de ce temps-là. Son
père en concevait beaucoup de chagrin, car il aimait tendrement son fils et
pensait qu’il était né un jour néfaste. Or, cette année-là, sur l’avis de ses
conseillers les plus sages, le roi Gwyddno avait confié à son fils le soin de
retirer le filet, afin de savoir si la chance lui faisait toujours défaut, et
aussi pour lui donner l’occasion de prendre ses responsabilités.
Le soir venu, Elffin alla donc retirer le filet. Il vit
qu’il ne contenait rien et fut saisi de chagrin. Comme il s’en retournait, il
aperçut un sac de peau accroché au bord du filet. L’un des gardiens du filet
lui dit : « Tu n’as jamais eu la moindre chance et, à présent, tu as
détruit la vertu de ce filet qui fournissait chaque soir de premier mai la
valeur de cent livres de poissons. Ce soir, il n’y a que cette vieille
peau ! » La réflexion du gardien provoqua une grande colère dans
l’esprit d’Elffin. Il retourna vers le rivage et dit, comme par défi :
« Peut-être y a-t-il dans ce sac la valeur de cent livres, et peut-être
davantage. Je veux qu’on m’apporte ce sac ! » On saisit le sac de
peau et on le lui apporta. Il l’ouvrit et aperçut l’enfant qui le regardait
intensément de ses grands yeux ouverts. Il remarqua une étrange lumière sur le
front de l’enfant et ne put s’empêcher de s’écrier : « Oh ! un front brillant ! [69] Je veux qu’on donne à cet
enfant le nom de Taliesin ! »
Elffin prit l’enfant dans ses bras et, tout en se lamentant
sur sa malchance, il le plaça sur son cheval avec beaucoup de douceur. Il fit
avancer sa monture au pas au lieu de la faire trotter comme d’habitude, et l’enfant
fut aussi bien que s’il eût été sur le siège le plus confortable du monde.
C’est alors que l’enfant se mit à parler, à la grande stupéfaction d’Elffin. Et
voici ce qu’il lui dit : « Ô bel Elffin, ne te lamente plus ! Un
homme ne peut toujours pleurer sur son destin, et le désespoir ne peut apporter
aucun profit. Nous ne savons pas ce qu’est le bonheur, ni d’où il vient, mais
nous le cherchons sans cesse, et quand il se présente à nous, nous ne le
reconnaissons pas. Mais tes prières n’ont pas été vaines, ô Elffin, toi qui
m’as recueilli avec tant de douceur, et Dieu ne peut que t’apporter joie et
réconfort. Dans le filet de Gwyddno, jamais prise ne fut meilleure que celle de
ce soir. Allons, bel Elffin, sèche tes larmes… Bien que frêle et fatigué par
les flots qui m’ont roulé jusqu’ici, je peux t’apporter une belle récompense,
car ma langue est dotée de pouvoirs merveilleux, et aussi longtemps que je
serai près de toi, il ne te manquera ni richesse ni estime de la part des gens
de ce monde. »
Elffin fut bien étonné de ce discours. Il demanda à
l’enfant : « Mais qui es-tu donc, petit être que j’ai recueilli dans
la mer ? Es-tu de la race des hommes ou de celle des esprits qui rôdent
sur les rivages ? J’ai bien peur que tu
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