La nef des damnes
viendraient bientôt se joindre à elles...
Dans le dortoir, Dreu se réveilla en sursaut, incapable de se rappeler où il était. Il porta la main à son front encore douloureux de la blessure reçue pendant la bataille avec le dromon. La cloche sonnait toujours, un bruit aigrelet, désagréable, qui ne lui rappelait en rien la sonorité grave de celle de Savigny. À ses côtés, la couche de frère Paul était vide. Les autres moines se levaient. Dreu enfila rapidement ses sandales tout en essayant de rassembler ses idées. Il entendait à nouveau la voix de Paul en train de lui demander son aide, le revoyait à l’office de matines à deux heures du matin, si différent, essayant de l’éviter. À croire qu’il avait rêvé tout cela.
Pourtant, non, il en était sûr, Paul avait parlé de fuir. Mais qui et pourquoi ? Il ne l’avait pas dit.
— Vous rêvez ? fit la voix sévère de Joce. L’office de prime va bientôt commencer.
Dreu sursauta et s’empressa de rejoindre ses frères qui gravissaient les marches menant à la petite chapelle au premier étage.
33
Pique la Lune était parti tôt ce matin-là avec l’idée de pêcher dans l’une des nombreuses criques de l’île. Un cordage roulé autour de sa taille, des hameçons et des appâts dans sa besace, il marchait sur les sentiers caillouteux en sifflotant, heureux de se trouver sur cette terre si différente de sa Bretagne natale. Il remonta de l’anse de l’Avis jusqu’à la ferme, remarquant au passage les volets obstinément clos de cette dernière, puis obliqua vers la gauche, se dirigeant vers le Castelas. L’aube était venue, teintant d’or roux la mer et les îles.
Une sente le conduisit à une falaise dont il ne pouvait savoir le nom mais que les moines appelaient la pointe du « Cimetière », tant il était vrai que, par le jeu mystérieux des courants, tout ce que la mer charriait, y compris des cadavres de grands souffleurs ou de dauphins, venait s’échouer dans la calanque du même nom, en contrebas.
Arrivé au bout de l’éperon rocheux, le jeune homme examina la côte de son œil exercé, notant la position de l’archipel par rapport au rivage, se remémorant les passes qu’ils avaient utilisées.
Il songeait déjà à être pilote dans ces eaux étrangères tout en se disant qu’il ne comprenait pas encore l’humeur de cette mer. Il ne savait lire ses nuages ni son horizon comme là-bas sur l’Atlantique. La Méditerranée restait secrète et capricieuse comme une femme qui ne se dévoile que pour mieux se dérober. Il avait découvert le vent du désert, mais peinait à imaginer les effets des vents étésiens, du levante ou du poniente que citait parfois Jacques.
Il soupira et, revenant à lui, se pencha au-dessus du vide. De forts courants drossaient les vagues contre rà-pic rocheux qu’elles recouvraient d’écume. Des cormorans plongeaient dans les lames et disparaissaient sous la surface. Il lui sembla apercevoir des formes argentées, sans doute un banc de poissons, mais il y avait tant de remous qu’il n’en était pas sûr.
Il déroula la corde qui enserrait sa taille, l’amarra à un rocher puis attrapa l’autre extrémité, la lestant d’un caillou et d’un hameçon sur lequel il enfila un petit crabe. Enfin, répétant les gestes appris dans l’enfance, il fit tournoyer la ligne au-dessus de sa tête de plus en plus vite. Quand il détendit enfin le bras, la pierre et l’appât filèrent au-dessus du vide. Le filin se dévida puis se tendit. L’appât et son lest avaient touché l’eau et s’étaient enfoncés. Le Breton s’assit et, une fois les jambes dans le vide, imprima de petites secousses à la ligne qu’il maintenait coincée entre ses doigts de pied.
L’attente ne fut pas longue. Une série de coups secs lui indiqua qu’un poisson avait mordu et essayait de se dégager. Au bout d’un moment, Pique la Lune, certain que la bête était ferrée, la hissa. C’était un loup au corps argenté, un poisson qui chassait en banc. Un sourire se dessina sur son visage rond. Avec un peu de chance, la pêche serait miraculeuse. À nouveau, la ligne tournoya en sifflant.
Le soleil était déjà haut quand Pique la Lune, regardant le tas de poissons, estima qu’il était temps de rentrer au camp. Il attacha ses prises les unes aux autres et les balança par-dessus son épaule, filant d’un bon pas sur la sente qui longeait la calanque.
C’est un rassemblement de
Weitere Kostenlose Bücher