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La nef des damnes

La nef des damnes

Titel: La nef des damnes Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Viviane Moore
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ancre alla crocher le fond.
    Ce « quartier libre » voulait dire qu’il avait le droit de marcher de la proue à la poupe ou de jouer aux dés, mais rien de plus. Il était plus sûrement prisonnier ici que dans une geôle à terre. Après un coup d’œil aux nuages qui s’amoncelaient, il vérifia l’état des canots et des avirons, la façon dont les cordages étaient roulés et décida de faire laver le pont après le repas.
    Des pirates s’étaient assis le long des bordages, aiguisant leurs sabres et leurs coutels en le regardant. Comme avant chaque attaque, un mélange d’angoisse et de mélancolie le prenait. Ses yeux parcoururent le paro, puis remontèrent jusqu’à la hune du mât. Il n’était pas un endroit où il n’avait vu mourir des hommes. Les siens d’abord : son équipage, torturé, mutilé, étripé devant ses yeux. Contre cette bordée avait agonisé toute une nuit son mousse, le crâne fendu. En haut du mât, son lieutenant, un fier gaillard, un Bordelais, avait fini les tripes à l’air, suspendu au-dessus de la tête des pirates que ses hurlements de douleur faisaient éclater de rire.
    Le capitaine essaya de chasser ces images sinistres, les mêmes qui l’assaillaient chaque nuit, et chercha du regard le pilote, Mario, un Génois qui, comme lui, avait accepté de servir le Diable plutôt que de mourir.
    Accoudé au plat-bord, celui-ci observait l’île et le Calabrais se demanda un moment si, tout comme lui, il rêvait de quitter ce navire maudit dont la couleur, plutôt que ce vert pâle qui lui donnait la nausée, aurait dû être le rouge du sang versé.
    — Mario, une partie de dés ? proposa-t-il en rejoignant son ami.
    L’autre sursauta, puis un mince sourire se dessina sur ses lèvres.
    — Volontiers^ répondit-il en sortant de sa poche une paire de dés en os de baleine.
    Personne ne faisait attention à eux et ils s’accroupirent au pied du mât. La partie dura un moment, silencieuse et calme tout d’abord, acharnée ensuite. Enfin, Mario souffla si bas que le capitaine eut du mal à l’entendre :
    — Nous ne sommes pas très loin de cette île.
    — Non.
    — Je n’en peux plus.
    L’aveu ébranla le Calabrais. Il jeta un œil vers son ami et remarqua le pli amer de sa bouche.
    — Tu les as entendus parler entre eux ? Ils vont massacrer tous les habitants de cette île, tu le sais ! insista le pilote. Les religieux comme les autres. Nous avons trop de sang sur les mains, toi et moi.
    — Mais jamais nous n’avons tué...
    — Nous avons laissé tuer ! Par lâcheté, par...
    — Tais-toi !
    — Tu sais que je dis vrai. Rohard veut sa vengeance. Pendant tous ces jours de mer, il n’a songé qu’aux supplices, aux tortures qu’il pourrait infliger aux Normands. Comme s’il pouvait y avoir pire que ce qu’il a fait jusqu’à présent ! Je ne veux plus voir le sang ruisseler sur ce pont. Tu entends !
    La voix du Génois^ se brisa. Quelque chose dans ses yeux avait changé. Était-ce l’approche imminente de l’attaque ? Cette attente déjà interminable ? Un profond soupir souleva la poitrine du Calabrais.
    — Tu dois tenir, Mario. On trouvera bien un moyen de s’échapper.
    — C’est ce qu’on s’est dit au début. Et c’est vrai qu’après avoir vu comment ils traitaient nos compagnons, on a pensé que tout était mieux que de subir les tourments qu’ils leur avaient infligés. Mais regarde où nous en sommes ! Des occasions, il y en a eu, nous avons fait tant de ports et de mouillages forains, et nous n’avons pu en saisir aucune tant ils nous surveillaient !
    — Mario... plaida le Calabrais, imaginant ce que pourrait être la vie sans le Génois à ses côtés.
    Ils se tenaient l’un l’autre et le savaient tous deux. Qu’un seul flanche et l’autre n’aurait plus qu’à se laisser mourir.
    — Je n’en peux plus, répéta le pilote. Je préfère essayer de gagner la côte à la nage...
    — Tu ne sais pas nager, Mario.
    L’autre ne répondit pas.
    — Laisse-moi réfléchir, ajouta le capitaine. Une lueur d’espoir brilla dans les yeux du pilote.
    — Tu vas t’enfuir avec moi ?
    — Lance les dés !
    Maître Richard venait vers eux de son pas lent.
    Alors, les hommes, qui est le gagnant ? dit-il en s’accroupissant à leurs côtés. Sortez votre argent. Je suis prêt à risquer quelques deniers, pas vous ?

 
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    Bien qu’il plût à torrents, Bertil était parti chasser, persuadé qu’il

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