La nièce de Hitler
chien assailli par la pensée.
— Oh, je vois, dit-il enfin. Vous
plaisantez.
La porte de la cellule nº 7 fut ouverte à
nouveau et le gardien fit entrer un prisonnier portant une chaise à haut
dossier qui avait tout l’air d’un trône. Les manches de sa chemise de flanelle
rouge étaient relevées sur des biceps comme des noix de coco. Tandis qu’il
transportait sa lourde charge, il tourna la tête vers Geli qui découvrit un
beau jeune homme aux cheveux noirs, approchant de la trentaine, avec des
muscles durs comme ceux d’un boxeur, des traits qui semblaient corses ou grecs,
et une peau au ton de pain d’épice malgré la prison. Elle n’avait jamais vu
chez un homme adulte des yeux si grands, d’une si belle couleur chocolat. Comme
ceux d’un faon.
— Je la mets où ?
Hess désigna la couronne de laurier.
— Là-dessous, répondit-il avant de faire
les présentations : Emil Maurice. Son chauffeur. Et voici Fräulein Raubal.
Elle tendit la main, mais resta assise, de
peur d’être plus grande que lui. Emil Maurice sourit de toutes ses dents
cassées et ébréchées, et dit en français :
— Je m’appelle Emil. Enchanté.
— Et moi, je m’appelle Geli.
— Elle parle
français ! s’exclama Emil.
— Elle est jeune, répondit Hess. Ça lui
passera.
Ils entendaient Hitler crier, mais ne
saisissaient pas les mots.
— Il ne s’arrêtera donc jamais ? demanda
Emil.
Cela fit rire Geli, mais Hess fut horrifié.
Dans une imitation passable des gestes et de
la voix d’Hitler, Emil prit le visage de Hess entre ses mains.
— Oh, mon Rudi ! Mon petit Hesserl !
Je t’ai choqué ?
— Arrête ça ! dit Hess en se
dégageant.
Emil sourit à Geli.
— Nous sommes déjà fatigués l’un de l’autre,
pourtant nous en avons encore pour des années à nous supporter.
Il se jeta sur une chaise, les genoux
largement écartés, les mains posées sur le rotin devant son entrejambe, tout en
dévisageant ouvertement la seule fille de la forteresse.
Elle était intriguée, mais gênée. Elle baissa
les yeux. Elle entendit le plancher grincer tandis qu’Emil tirait une chaise
près de la sienne.
— Venez vous asseoir près de moi, Geli, proposa-t-il
posément. On va bavarder.
— Non ! hurla Hess.
S’adressait-il à elle ou à Emil, la jeune
fille n’aurait pas su le dire.
Il lui semblait que ses joues en feu pouvaient
embraser une feuille de papier. Elle se sentait flotter sur un radeau de douce
torpeur. C’est alors que la porte du bureau s’ouvrit sur Angela.
— Nous devons partir, dit-elle.
Geli se leva. Emil lui fit un clin d’œil.
— Je vais dire au revoir à oncle Adolf ?
— Nous devons partir, dit Angela.
En sortant de la forteresse, elles virent leur
taxi qui leur faisait des appels de phares. Elles montèrent en voiture. Et
lorsqu’elles furent sur la grande route de Munich, et que derrière elles la
forêt noire se confondit avec l’horizon, Angela posa une main sur la banquette,
comme sur un sac dont elle pouvait disposer à tout moment. Geli essaya de
trouver son visage, mais elle n’était qu’un bloc de nuit dans la nuit.
— Nous aurons de l’argent pour acheter
des meubles et des vêtements, dit Angela. Quelqu’un paiera notre loyer. À
partir de maintenant, Paula portera le nom de Wolf. Elle aura un appartement à
elle.
— Pourquoi ?
Angela réfléchit un moment avant de répondre.
— Il le faut.
VII
Munich, 1925
C’est en avril 1925, lors d’un voyage scolaire
avec une chorale de filles appelée « Seraphim », qu’elle alla à
Munich pour la première fois sans Angela. Dès qu’elle fut installée avec son
amie Ingrid von Launitz dans leur chambre de l’hôtel de première catégorie Königshof,
elle essaya d’appeler son oncle, dont elle savait qu’il était en liberté
conditionnelle depuis décembre. Ne le trouvant pas dans l’annuaire, elle décida
hardiment d’aller le voir avec Ingrid dans son appartement de Thierschstraße, et
se dit que si Hitler n’était pas chez lui, elle pourrait au moins lui laisser
un mot.
— Et s’il est chez lui ? demanda
Ingrid.
— Dans ce cas, il sera bien obligé de
nous faire bon accueil, répondit Geli. C’est un homme politique.
Elles trouvèrent une droguerie au 41, Thierschstraße,
mais au-dessus de la boutique s’élevait une maison de trois étages, appartenant
à une veuve sympathique, Frau Maria Reichert. C’était une femme robuste et
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