La nièce de Hitler
soulagement
quand elle eut terminé.
Regardant sa nièce d’un air penaud, il revêtit
un veston de serge bleu, un long pardessus de cachemire noir, et un chapeau mou
qui n’aurait pas déparé dans un western.
— Vous ressemblez à un desperado, Herr Hitler,
lui dit Geli.
Le plus sérieusement du monde il la remercia
de le lui rappeler, et prit un pistolet de dessous son oreiller pour le glisser
dans sa poche de pardessus.
— Je dois être constamment sur mes gardes,
à cause des risques d’assassinat.
Au milieu de la Thierschstraße se trouvait le
bureau financier des éditions Eher et du journal officiel du parti, le Völkischer
Beobachter (L’Observateur du peuple). Pendant le trajet, Hitler raconta aux
deux amies comment il avait repris l’hebdomadaire avec un prêt à zéro pour cent
de six cents dollars américains, consenti par Herr Ernst Hanfstaengl, une
fortune en Allemagne à l’époque, ensuite remboursé le prêt quelques mois plus
tard avec des Reichmarks qui ne valaient plus rien à cause de l’inflation,
ruse grâce à laquelle « j’ai eu les bureaux, le mobilier, la linotype, le
papier et deux rotatives américaines pour le prix d’une sucette à la menthe ».
— Mais je croyais que Putzi était votre
ami, remarqua Geli.
Le visage d’Hitler exprima un étonnement
enfantin devant cette objection incongrue ; puis il informa sa nièce que
Herr Hanfstaengl était également un bon nazi.
— De bon cœur, sans regret, un bon nazi
donne tout ce qu’il possède à son Führer.
Il leur ouvrit la porte et les suivit à l’intérieur.
Geli vit Max Amann éteindre en hâte sa cigarette, se lever de son bureau
encombré et présenter fièrement une version bras tendu du salut fasciste
italien dès qu’il aperçut Hitler. Ancien sergent-chef d’Hitler dans le régiment
List, diplômé d’une école de commerce, la trentaine, Amann était petit, bourru
et souvent irritable ; il avait les cheveux coupés très court, arborait
une petite moustache brune imitant ouvertement celle de son Führer – qui n’allait
pas tarder à lui ordonner de la raser –, et son visage semblait aussi dur et
cruel qu’un bloc de pierre. Mais il fondait d’adoration quand Hitler était dans
les parages. Se désintéressant rapidement des jeunes filles, le directeur
financier, tout sourire, tendit des formulaires et des lettres à signer à
Hitler, et essaya d’expliquer à l’aide d’un grand registre vert un problème
financier que le propriétaire officieux du journal se devait de connaître. Mais
Hitler ne voulut même pas s’asseoir, car sa chaise préférée était poussiéreuse.
Amann était entouré de piles de dossiers et de papiers qui s’entassaient dans
toute la pièce. Une veuve noire trottait sur sa machine à calculer manuelle. Tout
ce qu’il touchait semblait être voué à se transformer en cendrier.
En soupirant, Hitler signa une vingtaine de
documents avec un Montblanc, déclara abruptement que la pièce puait le tabac, et
sortit dans la rue en compagnie des jeunes filles.
— Voilà qui est fait, déclara-t-il comme
s’il venait d’achever une dure journée de labeur.
Geli dit à son oncle qu’Amann lui faisait
pitié et qu’il avait l’air d’un chien battu qu’on ne venait voir qu’aux heures
des repas.
— Il faudra que je lui répète ça, dit Hitler
en riant.
— Il va apprécier ?
Hitler fronça les sourcils d’un air perplexe.
— Moi, j’apprécie, répondit-il, comme si
cela suffisait.
Ils flânèrent jusqu’à Schwabing ; là, en
passant devant le 50, Schellingstraße, non loin de l’université, Hitler fit
signe à un petit homme enjoué qui se trouvait dans le studio de photographie
Hoffmann, puis leur ouvrit la porte de l’imprimerie Müller, les locaux du Völkischer
Beobachter.
Putzi Hanfstaengl et quelques hommes en
chemise brune se levèrent et firent le salut nazi quand ils virent leur chef
entrer à la suite des deux jeunes filles, mais il n’y eut que Rudolf Hess pour
hurler « Heil Hitler ! ». Geli trouva étrange que Heil, cet
ancien salut teutonique passé de mode en Autriche, qui signifie prospérité ou
salutation, fut à présent associé au nom de son oncle ; toutefois, non
seulement cela n’avait pas l’air de le gêner, mais il acceptait leurs saluts
fascistes avec une indifférence hautaine.
— Vous pouvez vous asseoir, leur dit-il
en ôtant son chapeau et son manteau. Où est Herr Rosenberg ?
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