La nuit de l'ile d'Aix
lutte où le génie, tombé du faîte de la puissance, apparaissait aux prises avec l’adversité. Calme et résigné, comme à l’époque de sa plus grande splendeur, Napoléon n’avait rien perdu de cette aménité qui faisait le charme de ses conversations familières ; il ne semblait nullement préoccupé du sort que lui réservait l’avenir. Affable envers les personnes qui l’approchaient, il avait pour tous des encouragements et des conseils utiles dans ces tristes circonstances. Il subissait sa destinée, mais sans manifester ni émotion ni abattement, sans proférer une plainte contre ceux qui l’avaient abandonné dans ses malheurs. »
Relation du général Beker
À Paris, Fouché et le gouvernement provisoire se font tenir au courant jour par jour – on pourrait dire heure par heure – des réactions de Napoléon. À cinq cents kilomètres de distance, comme si une sorte de télépathie eut supplé aux indigences du télégraphe, les deux pôles sont reliés par le même courant. L’Empereur qui espère son rappel. Et le gouvernement qui craint son retour.
«... Napoléon doit s’embarquer sans délai...
... Le succès de nos négociations tient principalement à la certitude que les Prussiens veulent avoir de l’embarquement.
... Vous ne savez pas à quel point la tranquillité et la sécurité de l’État sont compromises par ces retards.
... Nous avons sous les yeux un rapport du préfet maritime de Rochefort où il est dit que le départ était possible le 29.
... Faites-le embarquer très vite...
... Il ne doit pas communiquer avec l’escadre anglaise.
... Quant aux services qu’il offre, vous ne devez plus nous en entretenir. »
Decrès ajoutait :
« Si les circonstances ne permettent pas qu’il parte avec les frégates, il sera peut-être possible à un aviso de tromper la croisière anglaise. Dans le cas où ce moyen lui conviendrait, il ne faut pas hésiter à en mettre un à sa disposition pour qu’il puisse partir dans les vingt-quatre heures. L’aviso mouche n° 24 pourra servir soit comme bâtiment parlementaire, soit pour le transport de l’Empereur en Amérique... Dans le cas où vous enverriez le brick l’Épervier en parlementaire, vous lui ferez déposer son artillerie à bord d’allèges, ainsi que ses munitions de guerre, ne lui laissant qu’une seule pièce et quelques gargousses pour donner du secours en cas de danger.
Si ce moyen ne lui convient pas et qu’il préfère se rendre à bord des bâtiments de la croisière anglaise, ou directement en Angleterre, il est invité à vous en adresser la demande formelle et positive par écrit, et dans ce cas vous mettrez sur-le-champ un bateau parlementaire à sa disposition pour suivre celle des deux destinations qu’il aura demandée.
Il est indispensable qu’il ne débarque pas sur le territoire français et c’est ce que vous ne pouvez trop prescrire au commandant du bâtiment sur lequel il se trouve ou sur lequel il passera.
P-S. Il est bien entendu que si le départ des deux frégates est possible, il n’est rien changé aux ordres précédemment donnés pour le conduire aux États-Unis par cette voie. »
C’est cette voie qu’avait suivie quatre ans plus tôt l’amiral Pierre Martin. Il avait d’abord été embarqué comme mousse sur la flûte Saint-Esprit en 1764. Il était pilotin sur le Nourrice, avant d’être promu pilote sous les ordres de l’amiral d’Estaing dans la mer Caraïbe où il perdit un œil et gagna ses galons de lieutenant de frégate.
De gabarre en corvette, et de Suffren à Villaret de Joyeuse, il était passé de la guerre d’Indépendance à la marine, de la Révolution aux temps fleuris par la légende où le Vengeur s’enfonçait dans les flots parmi les chants de l’équipage.
Sa carrière, qui avait commencé sur une mer d’huile au printemps 1764, s’était terminée sur l’océan en feu au printemps 1809 aux lieux mêmes d’où il était parti. Il était vice-amiral de la Flotte lorsque l’amiral anglais Gambier attaqua nos vaisseaux au mouillage devant l’embouchure de la Charente. Le colonel Congreve, artificier de Sa Majesté, avait imaginé de lancer trente brûlots dont le feu grégeois projetait des étincelles meurtrières. Ces canots bourrés de poudre explosaient en abordant nos navires. Cette poudrière de pirates fut baptisée l’Affaire des brûlots de l’île d’Aix. Et comme il fallait une victime expiatoire à ce Salamine
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