La nuit de l'ile d'Aix
spécial de mes meilleurs matelots d’assaut. En cas d’attaque, je me porterai le plus rapidement possible vers les frégates. Je concentrerai mon tir sur la première frégate que je pourrai joindre. Je m’efforcerai de faire taire son feu, de l’aborder de long en long, d’y jeter ma troupe d’élite. Cette frégate aux mains de mon corps d’abordage, je me lancerai sur les traces de l’autre et je ne lâcherai prise que lorsqu’elle aura amené son pavillon... Mais les vents peuvent déjouer ce calcul et le calme même les contrarier. Et si l’abordage se prolonge, il est certain que je ne rattraperai jamais l’autre frégate, pour une simple raison : elle va plus vite que nous.
— Encore un peu de thé, Sir John ?
— Merci.
— Et vous, Sartorius. Non ? Je poursuis : nous avons établi à Rochefort et à La Rochelle un réseau d’espionnage très efficace. Nos agents communiquent régulièrement avec nous. Ils s’affairent à tirer des renseignements sur les desseins de Napoléon et des commandants de frégate, ces renseignements nous parviennent par deux sources : les fonctionnaires et officiers fidèles aux Bourbons qui nous les transmettent instantanément. Pour les marins et la population c’est un peu plus compliqué ; il faut faire donner la cavalerie de Saint-Georges {74} . Par ailleurs les officiers des sémaphores sont acquis au gouvernement provisoire. Ils ont pour mission de donner de faux renseignements sur les mouvements et la puissance de nos vaisseaux pour décourager les tenants du combat naval.
— Vous en êtes sûr ?
— Certain. On ne peut pas déceler la présence de quatre navires là où il n’y en a qu’un, à moins d’être complice ou ivre. En outre, le commandant des forts de Saintonge nous est également acquis. Il a promis contre une forte rétribution de fermer les yeux sur nos mouvements.
D’après les renseignements que me fournissent mes indicateurs, je crois savoir que le commandant Philibert qui est resté fidèle aux Bourbons se montre très réticent pour engager le combat. À l’inverse du capitaine Ponée de la Méduse et du capitaine Jourdan de L’Épervier qui sont bonapartistes et dont l’équipage est prêt à mourir pour Napoléon. Le capitaine Ponée s’est même vanté d’enlever l’Empereur de force pour l’emmener aux États-Unis. Il est certain que ces deux fanatiques n’hésiteront pas à engager un combat mortel contre nous. À la faveur de ce combat — et de la nuit — Napoléon pourrait prendre le large sur un bateau neutre. Un américain de préférence. Il faut surveiller tous les neutres sans exception.
Enfin, mais ceci est une perception strictement personnelle, je crois Napoléon malade, fatigué et plus enclin aux négociations qu’au combat. Si ces négociations s’ouvrent — et je crois qu’elles s’ouvriront...
— Qu’est-ce qui vous fait penser ça ? demandait Hillyar.
— Oh, une simple déduction. Actuellement il a le choix entre reprendre la guerre avec l’armée de la Loire — à mon avis s’il avait pris cette décision il aurait déjà rejoint l’armée — ou partir en Amérique. Il sait que c’est risqué. Alors son autre choix : se rendre à nous ou aux Bourbons. Dernière hypothèse, il inclinera forcément pour l’Angleterre.
— Pourquoi ?
— Parce qu’à l’île d’Elbe, il avait déjà envisagé cette solution qui lui avait été soumise par le colonel Campbell qui ne l’avait pas trouvé hostile à cette éventualité. À mon avis, s’il se voit enfermé dans cette alternative, il nous enverra des parlementaires.
— Et dans ce cas ?
— Dans ce cas, il faudra faire traîner les pourparlers, faire miroiter la réponse de l’amiral, trouver des prétextes pour faire espérer les sauf-conduits. Jusqu’à ce que nous ayons refermé l’étau de telle sorte qu’il ne puisse plus avoir l’espoir de s’échapper par la mer. Comme les royalistes bloqueront le retour par la terre ferme, il n’aura pas d’autre solution que de se livrer à nous.
— Et si vous n’avez pas d’ordre pour l’accueillir ?
Maitland se leva sans répondre. Ses invités l’imitèrent. Il prit une voix solennelle.
— Messieurs, si Napoléon se rend spontanément à bord de nos navires, nous sommes promis à l’immortalité.
— Et que ferait le Cabinet ?
Maitland frotta ses mains l’une contre l’autre et ébaucha le geste
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