La nuit de l'ile d'Aix
mer...
M. Richard gémit :
— Mais je dois aller au bout de ma mission, j’ai donné maparole au roi.
— Et moi, monsieur le baron, je vous donne ma parole que je vais porter sur-le-champ votre message au capitaine Philibert. Et que l’Empereur — je veux dire l’usurpateur — sera arrêté ce soir sur la Saale dès mon arrivée.
L’envoyé de Fouché n’en demande pas tant. Il insiste encore un peu pour la forme. Sans conviction. Et finalement il va remercier Bonnefous de lui épargner ce surcroît d’épuisement.
— Je n’oublierai jamais ce que vous faites...
Journée du 15 JUILLET
« “Je” est un autre. »
Arthur R IMBAUD
« Puisque je suis un obstacle à la paix de l’Europe, je ne puis lui donner une plus grande preuve de ma condescendance à ses désirs qu’en me livrant à la puissance qui dirige la politique du continent. C’est à la postérité qu’appartient désormais le jugement de la conduite des Souverains envers la France. En continuant la spoliation de notre patrie, ils seront condamnés par leurs propres manifestes ; et les monuments historiques que ces grandes catastrophes transmettront aux générations à venir fixeront l’opinion des siècles futurs sur la grandeur de mes entreprises. »
N APOLÉON
Minuit
M. de Bonnefous arpente nerveusement les quais du port. Il regarde sa montre. Il regarde la marée. M. le préfet trépigne et soupire. Richard s’est assoupi, Rigny est à deux lieues de Rochefort. M. de Bonnefous sait que le valet de Joncourt est porteur de deux lettres, une émanant du ministre de la Marine, l’autre de Sir Croker. Ces deux lettres expriment dans des langues différentes le même message : s’assurer de la personne de l’usurpateur et le ramener à Paris dans un fourgon cellulaire.
La marée tarde, tarde.
M. le préfet piaffe, piaffe.
Jamais le jusant n’aura été si lent. Comme si l’océan une fois encore voulait témoigner de son pacte secret avec le Cabinet britannique.
Sur le joli voilier où M. de Bonnefous aime à caboter les dimanches d’été entre les îles, les marins surveillent eux aussi la montée des vagues. Ils ne connaissent pas le détail de la manœuvre. Ils en mesurent l’urgence.
— Paré, monsieur le préfet, on peut prendre la mer.
— Enfin.
M. de Bonnefous saute sur le canot. Vite, vite, il faut arriver sur la Saale avant... Il sait qu’entre Fouché et lui c’est désormais une course de vitesse. Si le sicaire de Joncourt touchait la Saale avant Bonnefous, ce serait le drame. Napoléon ne se laissera pas arrêter. Les quinze cents hommes du général Alméiras sont prêts à mourir pour lui. Si Rigny met le pied sur l’île d’Aix, il n’en ressort pas vivant.
En arrivant sur la frégate, M. de Bonnefous feint l’étonnement.
— Comment ? L’Empereur n’est pas là !
— Mais, monsieur le préfet, vous savez bien qu’il est à l’île d’Aix, riposte sèchement Philibert.
— Vous savez, avec toutes ces allées et venues... Alors voilà, capitaine, dans un délai de deux heures, vous m’entendez, deux heures, je ne peux plus répondre de la sécurité de l’Empereur, et par voie de conséquence de la nôtre, ajoute-t-il en fixant Philibert bien dans les yeux. Les envoyés du ministre ont ordre d’arrêter Napoléon. J’ai été averti que le Royal Marine préférera ouvrir le feu plutôt que de se prêter à cette manœuvre. Vous comprenez, capitaine, il faut que l’Empereur soit prévenu tout de suite. Il faut qu’il s’en aille, commandant... Sinon, pour moi — et pour vous — on peut prévoir le pire. J’ai préparé un message pour lui.
Philibert blêmit. Il vient de mesurer l’enjeu et les suites pour sa carrière.
— Je mets un canot à la mer, monsieur le préfet.
M. de Bonnefous attendra que ce canot soit au large pour remettre un pli cacheté à Philibert.
— Voilà, commandant, ce sont des ordres confidentiels, vous ne devez pas les ouvrir avant 8 heures demain matin.
— Je ferai conformément à vos directives, monsieur le préfet.
Sur le gaillard d’avant Philibert regarde danser entre les vagues le yacht de M. de Bonnefous. Il n’est pas à trente encablures que le capitaine de la Saale dévale la passerelle et court à la rencontre du lieutenant de vaisseau Borgnis Desbordes.
— Qu’est-ce que se passe, commandant ?
— Il se passe que tu prends un canot et que tu vas porter un message
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