La nuit de l'ile d'Aix
députés, marchons sur Paris... » Ils ne seront pas suivis. Un ressort s’est cassé à Mont-Saint-Jean, la foi vacille, la mystique s’effrite.
À la même heure, Grouchy reçoit une lettre de Davout. Il se frotte les yeux, le brave Grouchy, lui qui vient d’engager ses soldats à prendre « l’attitude offensive qui convient », il lit et relit incrédule :
« Vous pouvez vous-même envoyer connaissance des événements de Paris aux généraux alliés dans le voisinage, en les invitant à suspendre toute hostilité jusqu’à ce qu’ils aient reçu les ordres de leurs souverains. Écrivez à tous les préfets pour leur annoncer les événements. »
Fouché a fait libérer l’espion Vitrolles {27} , l’ennemi juré de Napoléon qui, alors que l’Empereur était à deux étapes de Paris, se traînait en pleurant aux genoux de Louis XVIII et le suppliait d’organiser la guerre contre l’usurpateur. Louis XVIII taraudé par la peur et irrité par les larmes chassa Vitrolles.
Le 26 mars 1815, on trouve ce même Vitrolles à Toulouse où il réunit les autorités civiles et militaires et les invite à se préparer à la guerre. Dans la nuit du 4 avril, le général Laborde vient arrêter Vitrolles et le dirige sur Vincennes où Fouché le fera sortir. Et quand l’activiste viendra prendre congé de son bienfaiteur, Fouché va convertir Vitrolles en ambassadeur extraordinaire auprès de Louis XVIII.
— Eh bien, que comptez-vous faire ?
— Je vais me rendre à Gand : ma chaise de poste est à la porte.
— C’est ce que vous pouvez faire de mieux. Vous ne seriez pas en sûreté ici.
— N’avez-vous rien à me donner pour le roi ?
— Oh, mon Dieu, non, rien. Dites seulement à Sa Majesté qu’elle peut compter sur mon dévouement et qu’il ne dépendra pas de moi qu’elle ne revienne promptement aux Tuileries.
— Mais il dépend de vous, ce me semble, que ce soit bientôt.
— Moins que vous ne pensez. Les embarras sont grands. Cependant la Chambre a modifié la situation. Vous savez, ajouta-t-il en souriant, qu’elle a proclamé Napoléon II ?
— Comment, Napoléon II ?
— Mais sans doute, il fallait d’abord passer par Napoléon II.
— Cela, je présume, n’a rien de sérieux ?
— Vous ne dites pas assez. Plus je réfléchis et plus je suis persuadé que cela n’a pas le sens commun. Mais vous ne sauriez croire combien il existe de gens qui tiennent à ce nom-là. Plusieurs de mes collègues, Carnot surtout, sont convaincus qu’avec Napoléon II tout est sauvé.
— Combien durera cette plaisanterie ?
— Probablement le temps nécessaire pour nous débarrasser de Napoléon I er .
Parmi les visiteurs qui affluent encore à l’Élysée et dont le nombre et la ferveur vont décroître dès le lendemain, deux au moins vont tenir à l’Empereur le langage de la vérité. Benjamin Constant est revenu pour ses adieux, il a noté le matin même sur ses carnets :
« Ma conviction c’est que son abdication est moins due aux conseils des amis timides, ou aux menaces des plus acharnés, mais à sa répugnance pour des moyens extrêmes et plus encore par un sentiment intérieur d’épuisement et de lassitude... J’ai remarqué je ne sais quelle insouciance sur son avenir, quel détachement de sa propre cause, qui contrastent singulièrement avec sa gigantesque entreprise. Il interrompt les conversations les plus importantes pour se livrer à des entretiens qui ne touchent en rien à son avenir. Peut-être est-ce le fait d’une certaine conviction sur le sort qui l’attend. Cet homme si longtemps respecté des rois paraît ne pouvoir admettre qu’ils aient abjuré tout à coup les derniers restes de ce respect pour le traiter comme un coupable. Il pense que pour leur propre honneur, ils vont préserver de rigueurs inhumaines l’homme qu’ils avaient nommé leur frère et leur égal. »
Et il lui déclare après quelques civilités de courtisan :
— Sire, si au lieu de vous enfermer à l’Élysée et de rassembler autour de vous les Conseils de l’incertitude et de l’effroi, vous vous étiez présenté au milieu des mandataires de la Nation, un acte de courage, de grands souvenirs, des périls imminents auraient peut-être contrebalancé les sentiments hostiles. Savez vous ce qu’ils redoutent par-dessus tout ?
— La perte de leurs privilèges ?
— Oui, et aussi les dangers et les incommodités
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