La nuit de l'ile d'Aix
l’expression la plus éclatante de la gloire et de la grandeur nationales. Un homme de police remplaçait l’homme de guerre. »
V AULABELLE
« Il y a deux sortes d’hommes. Ceux qui font ce qu’ils veulent. Et ceux qui font ce que veulent les autres {26} . »
Emmanuel, marquis de Grouchy, ancien chef de bataillon dans les guerres de Vendée, commandant en chef de l’expédition d’Irlande, appartient à la deuxième catégorie. Il a une vocation de « brillant second ».
Aujourd’hui les dictionnaires et les manuels d’histoire entretiennent l’opprobre et le désignent au mépris des générations : « Il laissa les Prussiens se dérober et rejoindre les Anglais, tandis que lui-même s’était éloigné du champ de bataille. Son indécision lui fut justement et sévèrement reprochée » (Larousse).
Il y a Prussiens et Prussiens. Ceux que balaie Grouchy le soir du 18 juin ne sont évidemment pas ceux que mène Blücher à l’assaut de la Garde.
Grouchy s’est brusquement affirmé quand il a été livré à lui-même, qu’il n’a plus été un exécutant à la remorque du génie.
C’est le destin qui va couper le cordon ombilical qui le relie à l’Empereur, le révéler à lui-même et faire briller ses vertus de grand capitaine. Elles ne brilleront qu’une semaine. Devant Paris il cherche un maître.
Il campe sous les murs de la capitale avec une armée intacte et fidèle à l’Empereur. Déjà la rumeur annonce son arrivée à l’Élysée. Si Napoléon prend la tête de cette armée, c’en est fait des pouvoirs des représentants. Mais Davout se substitue à l’Empereur et Grouchy redevient subalterne.
En ce matin flamboyant du 23 juin 1815, paré de toutes les grâces de l’été, porteur de toutes les affres de la guerre, le véritable maître du destin ce n’est déjà plus Napoléon, ce n’est pas encore Fouché, c’est Emmanuel de Grouchy. Il a sous ses ordres soixante-dix mille hommes. Et il peut rallier très vite Reille, Soult, Exelmans, Vandamme, Lefebvre-Desnoëttes, de Pully, les divisions Aubert et Beaumont, sans compter les fédérés.
Imaginons un instant Kléber, Lannes, Desaix ou Murât à la place de Grouchy. À midi l’armée campait au palais Bourbon, offrait à Napoléon les clefs de la ville et aux représentants la clef des champs.
Que fait Grouchy ? Encore une fois il « attend des ordres ». Et pour meubler l’attente il lance une proclamation à la fois destinée à rassurer les soldats et à limiter leurs élans. Grouchy sent dans sa troupe bouillonner les impatiences.
— Qu’est-ce qu’on fout ?
— Pourquoi on reste ici ?
— Il faut entrer dans Paris.
Alors : « Soldats, l’Empereur vient d’abdiquer. Les Chambres ont proclamé son fils Empereur des Français, notre devoir est d’être fidèle à Napoléon II comme nous l’avons été à son illustre père. »
Tout Grouchy tient dans ces quelques lignes : docilité, expectative et fidélité au régime en place.
Mais les grenadiers, sevrés de nouvelles, étonnés de ce retour aux bases et inquiets de leur assignation réclament de se battre. Alors le maréchal va incanter le combat, l’offensive, la victoire, la patrie, la gloire, les mots clefs du vocabulaire de la Grande Armée.
«... Vainqueurs à Fleurus, à Wavre, à Namur, vous avez battu l’ennemi partout où vous l’avez abordé. Votre valeur lui a enlevé des trophées militaires où il ne peut se vanter de vous en avoir ravi un seul. Réunis à des forces nouvelles et au chef de l’Empire, vous allez bientôt prendre l’attitude offensive qui vous convient. Défenseurs de notre chère Patrie, vous préserverez son sol sacré et la France entière proclamera vos droits à sa reconnaissance et à l’amour public.
Heureux de vous guider dans ces grandes circonstances où vous avez accru votre gloire, je me plais à payer à votre valeur le tribut d’éloges qui lui est dû. Je réponds en votre nom à ma Patrie que fidèles à vos serments, vous périrez plutôt que de la voir humiliée et asservie.
Vive l’Empereur !
Le maréchal commandant l’aile droite de l’armée
Grouchy. »
La proclamation de Grouchy est lue par les officiers sur le front des troupes. En dépit des promesses offensives et des couronnes de lauriers, le mot d’abdication est perçu par l’ensemble de l’armée comme l’annonce d’un tremblement de terre.
La plupart des hommes demeurent
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