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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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Invalides, après s’être battu pour le roi de Prusse...
    —  Ou le nôtre...
    —  Ce qui revient au même, il vaut mieux fonder son propre royaume dans un continent tout neuf, adapté aux idées nouvelles, devenir le bâtisseur d’une colonie, plutôt que le sabreur des Impériaux...
    —  Mais nous aurons peut-être à nous battre contre les Anglais   ?
    —  Messieurs, c’est à vous.
    —  Ah enfin, ce n’est pas trop tôt   !
    Joël Barlow se tenait debout devant une carte hachurée de l’Ohio. La belle rivière serpentait à travers des méandres de quadrillages bigarrés, des rectangles de couleurs vives jalonnés de chiffres romains qui figuraient les lots offerts par la Compagnie aux émigrants. Joël Barlow était de grande taille, de belle prestance et haut en couleur. Un visage à facettes, des pommettes saillantes, des méplats anguleux, une fossette enfantine au rostre du menton, une chevelure aérienne et frisée au fer. Une plénitude athlétique dans ses fortes épaules, des yeux de genette à l’affut, enfouis sous des sourcils en buisson.
    —  Entrez, messieurs les officiers, je suis heureux de voir que l’armée française est restée fidèle au souvenir des exploits des grenadiers de M. de Rochambeau.
    Il jeta un bref coup d’œil sur sa fiche   : M. d’Hobécourt, M. de Bonaparte.
    —  ... Vous voyez ces terres, dans huit ans au plus tard, elles auront pris le double de leur valeur actuelle... Car le centre des États-Unis se trouve à peu près à cet endroit, ce qui rend probable qu’il s’écoulera peu d’années avant que la capitale américaine ne soit transférée sur les bords de l’Ohio.
    Il parle, il parle, l’intarissable Barlow. Et les deux jeunes gens écoutent, fascinés.
    —  Vous allez découvrir à la fois l’aventure et la poésie. Voilà votre dossier   : une brochure, un formulaire et un bulletin d’adhésion que vous devrez retourner d’ici deux mois à la Compagnie, paraphé de votre main... En échange vous recevrez vos titres de propriété sur le Sciotto et les numéros des parcelles qui vous sont attribuées...
    Comme il les précédait dans le bureau de la Compagnie et qu’ils arrivaient à la porte, une bohémienne aux aguets se précipita vers eux et prit la main de Barlow.
    Il la lui abandonna en souriant.
    —  Tu feras une grande fortune, une immense fortune, tu seras riche et célèbre dans ton pays, mais tu mourras de froid dans un pays lointain dans le feu et la neige, aux pieds d’un grand homme.
    —  Aux pieds d’un grand homme   ? interrogeait Napoléon.
    La tsigane se tourna vers Bonaparte, mais celui-ci retirait vivement sa main.
    —  Mes petits messieurs, je n’ai pas besoin de regarder vos mains, lança la bohémienne, vous aussi vous ferez fortune avant de traverser l’Océan, et vous finirez vos jours dans des pays lointains au-delà des mers...
    Tout le jour il avait retardé l’heure de l’affrontement. Avec Joseph il avait couru les bois et les maquis. Ils ont erré à travers les Milelli délabrés.
    —  Te souviens-tu quand papa nous disait...
    Et puis il est allé seul dans sa grotte à Casona. Le soir en rentrant il a vidé sa caisse de livres, déclamé une scène de Cinna.
    Mme Letizia a interrompu le récital et lancé de sa voix des mauvais jours   :
    —  Napoléon, si nous parlions un peu de ton Amérique... J’ai là ta lettre, et je n’ai pas bien compris ce que tu veux. Explique-toi...
    Il était retourné à sa chambre et il avait rassemblé les papiers de la Compagnie du Sciotto.
    —  Voilà, j’ai bien réfléchi. L’Europe est en pleine décadence, les trônes sont menacés. Partout la misère règne et le peuple gronde... L’avenir est incertain, même pour un officier.
    Mme Letizia qui surveillait son fourneau se redressa, les poings aux hanches   :
    —  Où veux-tu en venir   ?
    —  Voilà, je sais que l’Amérique offre aux jeunes gens ambitieux de vastes débouchés. L’Europe, c’est le continent du passé. L’Amérique, c’est l’univers de l’avenir. Il y a là-bas de vastes terres d’une fertilité inconnue chez nous, qui regorgent de filons aurifères, d’arbres à sucre...
    Elle le coupa durement et parodia ses inflexions   :
    —  Filons aurifères, arbres à sucre. Et pourquoi pas des fleurs de fromage ? Mon pauvre enfant..., fais voir ce journal.
    —  Ce n’est pas un journal, c’est la brochure de la Compagnie du Sciotto.
    Elle ouvrit

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