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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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batailles, des naufrages et des incendies grandeur nature. Et si terrifiants que je vous demande de garder votre calme. Ce ne sont que des effets d’optique... Entrez, madame, entrez, mon général. Vous voyez, mesdames et messieurs, le grand Bonaparte lui-même a voulu honorer cette prodigieuse invention qui va révolutionner le monde.
    Il s’inclinait devant Joséphine. Elle lui sourit.
    Le jeune homme sauta de son juchoir et tint à les installer lui-même au premier rang, sur les chaises de paille réservées aux hôtes de marque.
    —  C’est vous l’inventeur ?
    —  C’est moi, général. Mon nom est James Fulton. Excusezmoi, je dois monter à la cabine, le spectacle va commencer.
    Bonaparte examinait la scène. C’était un vaste tableau circulaire dont les panneaux étaient déroulés sur les marches d’une rotonde par des projecteurs fixés au plafond et qui donnait aux spectateurs une illusion d’optique, ajoutant au tableau à plat hauteur et profondeur de champ.
    Fulton manœuvrait sa lentille d’orpailleur d’images. Et presque aussitôt, les vagues furieuses de l’océan déferlaient sur les rocs de Bretagne. Si fort que les spectateurs des premiers rangs levèrent instinctivement le coude pour se protéger des flots. Joséphine s’agrippait à l’épaule de son mari.
    —  C’est angoissant, dit-elle, et si excitant.
    Le voisin de Napoléon lui touchait le bras.
    —  Excusez-moi, je ne me trompe pas, vous êtes bien le général Bonaparte ?
    Napoléon se retourna   :
    —  Oui, pourquoi   ?
    —  Vous ne me reconnaissez pas   ?
    Ce foisonnement de cheveux frisés, cet habit bleu barbeau à boutons d’or, le sourire carnassier, le diamant dans l’oreille, le regard gris métal. Et cette voix..., cette voix montée des années lointaines...
    «... Toutes les collines sont couvertes de vignes sauvages... Et les habitants font un vin rouge que la France et l’Italie ne peuvent égaler... Vous allez découvrir à la fois la poésie et l’aventure... » Le nom bat des ailes dans la mémoire exorcisée. Barlow. Joël Barlow.
    Il se revoit avec François d’Hobécourt dans les bureaux de la Compagnie du Sciotto, devant la carte colorée de l’Ohio. Et la voix qui vantait l’Eldorado, poursuivait dans sa mémoire le rêve interrompu par la colère de Madame Letizia.
    —  Vous allez assister à un spectacle fantastique, comme personne n’en a jamais vu. C’est moi qui ai soufflé le thème à Fulton.
    —  Chut, chut...
    L’écran se ranimait, se peuplait d’une profusion de bulbes et de dômes sous un ciel d’ardoise et de suie. Des traîneaux couraient entre les maisons de rondins sous les auvents verts fardés de givre. La neige tombait du ciel cendreux et les corbeaux aux ailes poudrées qui ramaient entre les flocons ressemblaient à un vol de mouettes sur la Seine.
    Brusquement une petite flamme jaillit d’une pyramide de bois. Elle grandit, se gonfla, éventra le toit du hangar et monta à l’assaut des hautes palissades. Et dans le ciel embrasé les rafales noires et voraces de l’incendie se mariaient avec la grande marée blanche dont les flocons s’engloutissaient sous les colonnes d’étincelles.
    Joséphine effrayée pressait les mains de Napoléon.
    —  C’est terrifiant, dit-elle.
    Barlow se pencha vers Bonaparte   :
    —  C’est moi qui ai conçu ce tableau, vous avez reconnu la ville   ?
    Napoléon secoua la tête   :
    —  Je ne sais pas..., j’ai cru reconnaître la Pologne. Ou la Russie   ?
    —  Ne cherchez plus. C’est l’incendie de Moscou, dit Barlow en souriant.
    Barlow, le Panorama, l’incendie de Moscou, c’était loin, si loin... Il saisit un autre rouleau de lettres enrubannées, défit le cordon de soie et il reconnut son écriture. Aux premières lignes sa main se crispa sur le papier.
    « Au Quartier général, Lodi le 24 floréal an IV de la République... Il est donc vrai que tu es enceinte ; Murât me l’a écrit, mais il me dit que cela te rend malade, qu’il ne croit pas prudent que tu entreprennes un aussi grand voyage. Je serai donc encore privé du bonheur de te serrer dans mes bras   !
    Je serai donc encore plusieurs mois loin de tout ce que j’aime   ! Serait-il possible que je n’aie pas le bonheur de te voir avec ton petit ventre   ! Cela doit te rendre intéressante   ! Tu m’écris que tu es bien changée. Ta lettre est courte, triste, et d’une écriture tremblante. Qu’as-tu, mon adorable

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