La nuit de l'ile d'Aix
Caracas ou à Buenos Aires, ou plutôt j’irai en Californie ou sur l’Orénoque.
Il se lève, son livre à la main. Il descend déjà le fleuve patriarche.
— Écoutez ça, La Valette, les explorateurs et les savants vont changer le monde. À condition que l’Europe continue d’assumer sa vocation de conquête. Écoutez ce que dit Humboldt : « Ces découvertes se multiplieront lorsque, comme l’état politique du monde paraît l’indiquer aujourd’hui, la civilisation européenne refluera en grande partie dans les régions équinoxiales du Nouveau Continent. » Voilà une phrase clef du futur. L’avenir de l’Europe est dans la découverte des continents vierges de l’Amérique et dans l’exploitation de ses fabuleuses richesses.
Il rejette le livre. Il s’exalte :
— L’avenir est là... AuXX e siècle, la civilisation européenne aura reflué vers ces terres. De nouveaux empires vont s’édifier à partir des découvertes de la science. Plus j’avance dans Humboldt et plus je suis passionné par ce que je découvre. Si ma vie était à refaire, je serais savant ou explorateur.
— Sire, votre vie est inscrite à jamais dans l’Histoire et non pas entre les savanes et les savants.
— Mais dans l’immédiat il s’agit de rejoindre au plus vite la Louisiane. Ou le Venezuela... Nous partirons demain, La Valette.
À la Chambre, Fouché et Davout se relaient et s’affairent à légitimer le retour du roi et à précipiter le départ de l’Empereur. Fouché assaille Beker de notes confidentielles et de menaces voilées :
« Il est urgent que l’Empereur parte parce que nous ne pouvons pas répondre d’un mouvement qui pourrait avoir lieu. La Commission désire que vous reveniez sur-le-champ à Malmaison pour engager l’Empereur à partir. L’ennemi s’avance... »
Fouché et Davout assortirent leurs lettres de solennelles mises en garde :
« Si l’Empereur ne prenait point une résolution à la notification que vous lui ferez de cet arrêté, vous exerceriez la plus active surveillance, soit pour que Sa Majesté ne puisse sortir de la Malmaison, soit pour prévenir toute tentative contre sa personne.
Vous feriez alors garder toutes les avenues qui aboutissent de tous les côtés vers la Malmaison. J’écris au premier inspecteur général de gendarmerie et au commandant de la place de Paris, de mettre à votre disposition la gendarmerie et les troupes que vous pourriez leur demander.
Je vous réitère. Monsieur le Général, que cet arrêté a été entièrement pris pour l’intérêt de l’État et la sûreté personnelle de l’Empereur ; sa prompte exécution est indispensable. Le sort futur de Sa Majesté et de sa famille en dépend.
Je n’ai pas besoin de vous dire, Monsieur le Général, que toutes ces mesures doivent être prises dans le plus grand secret possible.
Le Maréchal, ministre de la Guerre,
Le Prince d’Eckmuhl. »
« Paris, le 27 juin 1815
Le Président de la Commission de Gouvernementau Ministre de la Marine
Monsieur le Duc,
La Commission vous rappelle les instructions qu’elle vous a transmises il y a une heure. Il faut faire exécuter l’arrêté tel que la Commission l’avait pris hier, et d’après lequel Napoléon Bonaparte restera en rade de l’île d’Aix jusqu’à l’arrivée des passeports.
Il importe au bien de l’État, qui ne saurait lui être indifférent, qu’il y reste jusqu’à ce que son sort et celui de sa famille aient été réglés d’une manière définitive. Tous les moyens seront employés pour que cette négociation tourne à sa satisfaction.
L’honneur français y est intéressé ; mais en attendant, on doit prendre toutes les précautions pour la sûreté personnelle de Napoléon, et pour qu’il ne quitte point le séjour qui lui est momentanément assigné.
Signé : le duc d’Otrante
Pour copie :
Prince d’Eckmuhl. »
La lettre de Fouché à Decrès sera très vite suivie d’instructions très secrètes du ministre de la Marine aux capitaines des deux frégates, Philibert à bord de la Saale et Ponée à bord de la Méduse.
« Les deux frégates sont destinées à porter celui qui naguère était notre Empereur, aux États-Unis d’Amérique. Napoléon voyage incognito, et il fera connaître lui-même les titres et le nom sous lesquels il veut être appelé. Aussitôt après son embarquement, toute communication doit cesser avec la terre ; les
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