La nuit de l'ile d'Aix
c’est là que tout a commencé. Et c’est là que tout a fini... Il marqua un temps : Enfin, voilà la Louisiane {53} .
Il posa sa paume à plat et recouvrit l’océan, les îles et les deltas.
— Cette province est historiquement française. Nous la devons à un homme de génie, Cavelier de La Salle.
Le doigt du Premier Consul se plantait sur une flaque délavée :
— Vous voyez ce lac... De là, du lac Michigan, part une grande page d’Histoire. La plus exaltante de toutes les explorations fluviales de l’histoire des hommes. C’est l’Odyssée de l’eau douce. Quarante hommes et six canoës. Pour la première fois les hommes vont essayer d’explorer le cours du Mississippi.
« Après deux ans d’épreuves inouïes, après un chemin de croix de deux mille kilomètres, devant les tourbillons d’embruns et d’oiseaux qui couronnent le mariage d’écume du fleuve et de l’océan, Cavelier de La Salle, qui avait goûté une goulée d’eau saumâtre dans le creux de sa main, comprit qu’il s’était trompé et qu’il n’avait pas atteint le rivage de la mer Pacifique, comme il l’espérait, mais le delta du Grand Fleuve. Alors il recracha l’eau saumâtre, se redressa et déclara solennellement : « Je prends possession au nom de la France de tous les pays drainés par le fleuve et par ses vassaux. Je baptise le fleuve “Colbert”, et je donne à ce pays le nom de “Lousiane” en l’honneur du roi de France... » C’est un des plus grands moments de notre Histoire, Victor... Vous saviez que le Mississippi s’était appelé Colbert pendant près d’un siècle ?
Victor secoua la tête.
— Non, bien sûr. Personne ne le sait. Le rêve de Cavelier de La Salle c’était de fonder le Grand Empire du golfe du Mexique, ce sera aussi le rêve de Colbert. Ce rêve, nous le reprenons aujourd’hui à notre compte. La Louisiane est une terre française. La Nouvelle-Orléans est une ville française.
Le doigt remontait le long des golfes. Vous voyez cette ville ?
— New York ?
— Eh bien, New York a été découverte par les marins de François I er , le capitaine de Conflans et le pilote Verrazano. Le Mississippi s’est longtemps appelé Colbert, et New York s’est appelée Angoulême pendant cent ans. Si je vous raconte tout ça, Victor, c’est pour vous pénétrer de notre bon droit. Vous n’allez pas en Amérique en conquérant ?
Victor se raidit :
— Ah ! parce que je vais en Amérique ?
Le Premier Consul feignit l’étonnement et rit :
— Comment ? Je ne vous l’avais pas dit... Vous partez en Amérique dans quelques semaines, et je vous le répète, vous n’y allez pas en envahisseur. En Louisiane nous sommes chez nous.
En 1763, le traité de Paris a anéanti deux siècles d’efforts inouïs et de conquêtes fabuleuses. Vous ne devez jamais oublier que tout cela nous a été arraché par la force.
Son bras décrivait un grand arc de cercle sur le planisphère, puis il croisa ses bras sur sa poitrine.
— Général Victor, l’heure est venue de reprendre nos droits. Aujourd’hui les États-Unis ont cinq millions d’habitants. Leur capitale Angoulême, ou plutôt New York, en a trente milles. Économiquement ils sont minés. Ils nous doivent une fortune qu’ils sont incapables de payer. Militairement ils ne font pas le poids. Ils nous doivent tout : leur nom de baptême {54} , la fondation de leur capitale, l’argent, les armes, le corps expéditionnaire, la victoire, la liberté. Et jusqu’à leur Constitution.
Ce n’est pas George Washington qui a créé les États-Unis d’Amérique c’est Rochambeau, c’est de Grasse, c’est Choiseul, bref, la France. Ils ne veulent pas payer leurs dettes de guerre... Eh bien, le moment est venu pour nous de nous rembourser... J’ai réussi à reprendre à l’Espagne, à la faveur de quelques pressions, la Floride et la Louisiane. Elles sont à nous. Il s’agit dans un premier temps d’affirmer notre présence, de faire flotter notre drapeau et de conforter nos droits.
Il posa solennellement sa main sur la haute épaule du soldat.
— Général Victor, je vous nomme capitaine général de la Louisiane. Votre capitale est La Nouvelle-Orléans. Je vais faire ratifier votre nomination par le gouvernement. Vous embarquerez le mois prochain. Mais n’oubliez pas qu’il s’agit d’abord d’une mission politique. Voilà le traité que j’ai arraché au roi
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