La Papesse Jeanne
par les Romains en des temps immémoriaux.
Il éperonna son
cheval et le mit au trot. Peut-être allaient-ils enfin pouvoir rattraper le
temps perdu. Une tempête de neige intempestive leur avait rendu le passage des
Alpes extrêmement périlleux. Deux de ses hommes avaient trouvé la mort en
glissant avec leurs montures au fond d’un ravin. Gerold avait été forcé d’attendre
une amélioration du climat pour poursuivre sa route. Ce retard avait laissé son
détachement encore plus loin derrière l’avant-garde de l’armée impériale,
laquelle devait se trouver tout près des portes de Rome.
Peu importait.
Lothaire ne risquait guère de pâtir de son absence. Cette division d’arrière-garde
ne comptait que deux centaines d’hommes – essentiellement des hobereaux
et des petits propriétaires arrivés en retard au grand rassemblement printanier
du Champ de Mars. Pour un officier de la stature de Gerold, se voir confier un
tel commandement confinait à l’insulte.
Au cours des
trois années qui avaient suivi la bataille de Fontenoy, ses relations avec l’empereur
n’avaient cessé de se dégrader. De plus en plus despotique, Lothaire s’était
peu à peu entouré de flagorneurs qui lui prodiguaient à tout instant les
flatteries les plus viles. Il avait fini par devenir rigoureusement incapable
de supporter les vassaux qui, comme Gerold, persistaient à lui faire part de
leurs opinions avec sincérité. Celui-ci, par exemple, avait tout fait pour
dissuader l’empereur de se lancer dans cette expédition romaine.
— Nous avons
besoin de nos troupes sur la côte frisonne pour repousser les Normands,
avait-il plaidé à maintes reprises. Leurs incursions sont de plus en plus
fréquentes, et de plus en plus destructrices.
C’était la pure
vérité. L’année précédente, les Normands avaient attaqué Saint-Wandrille et Utrecht.
Au printemps, ils avaient même remonté la Seine et brûlé Paris ! La
nouvelle avait soulevé une vague de terreur dans les campagnes. Si une cité
aussi puissante que Paris, nichée au cœur même de l’empire, n’était plus à l’abri
des hordes barbares, rien ni personne ne l’était.
Et pourtant, l’attention
de Lothaire était tout entière concentrée sur Rome, qui avait osé prononcer le
sacre de Serge sans attendre son approbation – omission qu’il avait prise
pour un affront personnel.
— Envoyez
plutôt à Serge un émissaire pour l’informer de votre royal déplaisir, lui avait
conseillé Gerold. Punissez les Romains en différant le paiement de la dîme.
Mais de grâce, sire, maintenez nos hommes ici, où l’on a grand besoin d’eux !
Ce défi à son
impériale autorité avait plongé Lothaire dans une rage noire. En guise de
représailles, il avait nommé Gerold à la tête de son arrière-garde.
Le détachement
alla bon train sur la route pavée. On couvrit près de quarante milles avant le
crépuscule, mais sans rencontrer ni bourg ni hameau. Gerold s’était résigné à
passer une nuit de plus dans l’inconfort du bas-côté, quand il aperçut une
spirale de fumée qui s’étirait paresseusement par-dessus la cime des arbres.
Deo
gratias ! Il devait y avoir un village dans
les parages, ou du moins une ferme. La perspective d’une nuit douillette l’anima.
Ses troupes n’avaient pas encore franchi les frontières du domaine papal. Le
royaume de Lombardie, qu’ils traversaient à présent, était situé en territoire
impérial, et les lois de l’hospitalité exigeaient que les voyageurs fussent
courtoisement hébergés, si ce n’était dans des lits, du moins dans la chaleur
sèche des étables.
Au détour de la
route, Gerold constata que la fumée venait non d’un âtre pétillant, mais des
ruines encore chaudes d’un groupe de maisons calcinées. Sans doute ce hameau
avait-il été prospère, se dit le comte en recensant les carcasses d’une
quinzaine de bâtisses. L’incendie avait probablement été causé par quelque
étincelle échappée d’une lampe, voire d’un feu mal surveillé. De telles
calamités n’étaient pas rares là où les maisons étaient construites de bois et
de chaume.
Chevauchant entre
les vestiges noircis, Gerold fut assailli par le souvenir de son retour à
Villaris. Son château avait la même désolante apparence après avoir été brûlé
par les Normands. Il se revit fouissant les cendres à la recherche de sa chère
Jeanne, cherchant désespérément, et craignant cependant de
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