La Papesse Jeanne
assis face à eux sur de hauts fauteuils de style byzantin,
luxueusement capitonnés de velours vert. Les autres sacerdotes – les
optimates – et les principaux aristocrates francs et romains se tenaient
en retrait. La grande salle était comble.
Quand tout le monde
fut en place, les hommes de Lothaire amenèrent Gerold, toujours enchaîné.
Jeanne eut un sursaut en apercevant les contusions qui lui marquaient le visage
et le cou. À l’évidence, il avait été maltraité.
Lothaire se
tourna vers Daniel.
— Avance-toi,
magister militum, et réitère ton accusation, afin que tous puissent l’entendre.
— J’ai
entendu le superista dire au pape Jean que Rome avait intérêt à conclure une
alliance avec les Grecs afin de libérer la cité du joug franc.
— Mensonge !
rugit Gerold, aussitôt réduit au silence par une violente bourrade.
— Ne le
touchez pas ! ordonna Jeanne aux gardes, puis elle s’adressa à Gerold. Tu
nies donc cette accusation, superista ?
— Absolument.
Ce n’est qu’un tissu de mensonges.
Jeanne inspira
profondément. Elle devait se jeter à l’eau maintenant, ou se taire à jamais.
— Je
confirme la version du superista, déclara-t-elle d’une voix forte.
Un murmure choqué
parcourut l’assemblée. Par cette réponse, le pape Jean passait du statut de
juge à celui de coaccusé.
Pascal, le
primicerius, intervint.
— Votre
Sainteté, vous n’avez ni à soutenir, ni à dénier l’accusation. Souvenez-vous
des paroles du grand Charle- magne : Judicare non andemos. Ce n’est
pas votre procès qui se tient ici, car nul tribunal terrestre n’a le pouvoir de
vous juger.
— Je le
sais, Pascal. Cependant, je suis prêt à affronter cette accusation de mon plein
gré, afin de délivrer les esprits de toute suspicion imméritée.
Sur ce, elle fit
signe à Florentin, le vestiarius. Comme cela avait été convenu par avance,
Florentin s’avança aussitôt. Il tenait dans ses bras un gros manuscrit
magnifiquement relié – le Livre des Évangiles, réceptacle sacré de la
parole de saint Luc, de saint Marc, de saint Matthieu et de saint Jean. Jeanne
le prit avec révérence.
— Sur les
Évangiles, proféra-t-elle d’une voix sonore, par lesquels nous fut révélée la
parole divine, je jure devant Dieu et devant saint Pierre qu’une telle
conversation n’a jamais eu lieu. Que Dieu me foudroie sur-le-champ si je mens !
Ce geste
spectaculaire porta ses fruits. Un silence respectueux suivit, durant lequel
nul n’osa faire un geste.
Tout à coup,
Anastase s’avança à la hauteur de Daniel.
— Je suis
prêt à servir de sacramentale à cet homme, lança- t-il hardiment.
Le cœur de Jeanne
se serra. Anastase ripostait à la perfection. Il venait d’invoquer la loi de la conjuratio, selon laquelle la culpabilité ou l’innocence était déterminée
par le nombre de sacramentales, ou garants du serment, que chaque partie
était capable de réunir.
Prompt à réagir,
Arsène se leva à son tour et se joignit à son fils. Plusieurs autres l’imitèrent,
un par un. Jordanes, le secundicerius, qui naguère s’était opposé à Jeanne dans
le débat sur l’école des femmes, était du nombre, de même que Victor, le
sacellarius.
Jeanne se rappela
la façon dont Gerold l’avait enjointe de se montrer plus diplomate avec ses
adversaires. Dans sa hâte à aller de l’avant, elle n’avait pas assez prêté
attention à ses avertissements.
À présent, l’heure
des comptes était venue.
— Je suis
prêt à me porter sacramentale pour le superista ! lança une voix venue du
fond de la salle.
Tous les regards
se braquèrent sur Radoin, le commandant en second de la garde papale, qui se
frayait un chemin à travers la foule. Très raide, il vint se planter à côté de
Gerold. Son geste en incita d’autres à faire de même. Peu après, Juvianus, le
doyen des intendants, s’avança, suivi des cardinaux Joseph et Théodore, de six
évêques suburbains, et de plusieurs dizaines de membres du bas clergé qui, plus
près du peuple, savaient mieux que quiconque apprécier tout ce que Jeanne avait
fait pour Rome. Hésitant à prendre parti, le reste de l’assemblée ne bougea
pas.
Lorsque tous ceux
qui souhaitaient se prononcer l’eurent fait, on fit les comptes :
cinquante-trois sacramentales du côté de Gerold, soixante-quatre en faveur de
Daniel.
Lothaire s’éclaircit
la gorge.
— Dieu a
rendu son jugement de la façon la plus
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