La Papesse Jeanne
nette qui soit. Avance, superista, pour
entendre notre sentence.
Les gardes
voulurent empoigner Gerold, qui se dégagea d’un geste rageur.
— Quel que
soit le nombre de ceux qui sont prêts à se parjurer, l’accusation est fausse !
Je demande l’ordalie !
Jeanne retint son
souffle. Ici, dans le sud de l’empire, le jugement de Dieu se faisait par le
feu, non par l’eau. L’accusé devait marcher pieds nus sur neuf socs de charrue
chauffés à blanc. S’il y parvenait, il était déclaré innocent. Mais rares
étaient ceux qui survivaient à un tel supplice.
Le regard de
Gerold traversa la salle pour se vriller sur Jeanne. N’interviens pas, sembla-t-il lui dire.
À l’évidence, il
avait l’intention de se sacrifier pour elle. S’il réussissait l’épreuve, son
innocence – et celle de Jeanne – serait prouvée. Mais il était plus
probable qu’il mourût en chemin.
Comme Hrotrud, songea Jeanne. Le souvenir de la triste fin de la sage-femme d’Ingelheim
fit naître en elle une soudaine inspiration.
— Avant de
poursuivre, intervint-elle, je souhaiterais poser quelques questions au maître
des milices.
— Des
questions ? répéta Lothaire, surpris.
— Voilà qui
est hautement irrégulier, protesta Anastase. Si le superista désire affronter
le jugement de Dieu, c’est son droit. A moins que Sa Sainteté ne mette en doute
le bien-fondé de la justice divine ?
— Pas le
moins du monde, répondit Jeanne. Pas plus que je ne méprise le bien-fondé de la
raison, qui nous fut donnée par Dieu. Quel mal y a-t-il à poser quelques
questions ?
Incapable de
trouver une réponse satisfaisante, Anastase haussa les épaules et se replia
dans le silence, visiblement vexé.
En son for
intérieur, Jeanne se répéta les six questions probatoires de Cicéron.
Quis ?
Elle se tourna
vers Daniel.
— Qui, à
part toi, fut témoin de la conversation supposée que tu as surprise ?
— Personne.
Mais le témoignage de ces sacramentales garantit ma bonne foi.
Quomodo ?
— Comment
as-tu fait pour entendre une conversation aussi confidentielle ?
Daniel n’hésita
qu’un instant.
— En me
dirigeant vers le dortoir, je suis passé devant le triclinium. Voyant les
portes entrouvertes, je me suis approché pour les refermer. C’est à ce
moment-là que j’ai reconnu la voix du superista.
Ubi ?
— Où le
superista se tenait-il ?
— Devant le
trône.
— À peu près
à la même place que maintenant ?
— Oui.
Quando ?
— Quand cela
s’est-il passé ?
Daniel tira
nerveusement sur la manche de sa tunique. Les questions s’enchaînaient si vite
qu’il n’avait pas le temps de réfléchir.
— Eh bien...
le jour de la Sainte-Agathe.
Quidi
— Et qu’as-tu
entendu exactement ?
— Je l’ai
déjà déclaré à la cour.
— S’agit-il
des termes employés par le superista, ou d’un compte-rendu approximatif de la
conversation ?
Daniel esquissa
un sourire. Le pape Jean le croyait-il assez stupide pour tomber dans un piège
aussi grossier ?
— Ce sont
précisément les termes employés par le superista.
Jeanne se pencha
en avant.
— Voyons si
je t’ai bien compris, magister militum. Selon toi, le jour de la Sainte-Agathe,
aux portes du triclinium, tu as surpris une conversation au cours de laquelle
le superista m’a déclaré que Rome devrait s’allier aux Grecs.
— C’est exact.
Jeanne se tourna
vers Gerold.
— Où
étais-tu le jour de la Sainte-Agathe, superista ?
— À Tivoli,
où s’achevaient les travaux de rénovation de l’aqueduc de Marc.
— Quelqu’un
pourrait-il en témoigner ?
— Des
dizaines d’hommes ont travaillé avec moi du matin au soir. Tous pourraient dire
ce que j’ai fait ce jour-là.
— Comment
expliques-tu ce fait, magister militum ? Il m’a toujours paru qu’un homme
pouvait difficilement se trouver en deux endroits au même moment.
Daniel pâlissait
à vue d’œil. Ses lèvres s’agitèrent en un effort désespéré pour former une
réponse.
— Ne
serait-il pas possible que tu te sois trompé de date, magister militum ?
demanda Anastase. Après autant de temps, les dates sont parfois difficiles à se
remémorer.
Daniel saisit la
perche au vol.
— Oui, tu as
raison. Tout bien réfléchi, la chose s’est passée plus tôt, à... à la
Saint-Ambroise, et non à la Sainte Agathe. Je me suis trompé.
— Celui qui
se trompe une fois peut se tromper une seconde fois,
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