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La Papesse Jeanne

La Papesse Jeanne

Titel: La Papesse Jeanne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Donna Cross
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de piles de livres aussi moisis qu’ennuyeux.
    Pourquoi son père
n’avait-il pas compris son désintérêt pour l’étude ? Je ne suis pas
Matthieu. La connaissance des livres ne sera jamais mon fort. Jean n’aspirait
nullement à devenir clerc ou savant. Il savait fort bien ce qu’il voulait :
entrer dans les armées de l’empereur et guerroyer pour soumettre les hordes
païennes. Il tenait cette idée d’Ulfert, le sellier, qui jadis avait suivi le
comte Hugo dans la première campagne de l’empereur contre les Saxons. Combien
de merveilleux récits le vieillard lui avait-il contés dans la pénombre de son
échoppe, oublieux de ses outils, le regard exalté par les mille souvenirs de sa
grande victoire !
    « Comme les
grives qui fondent sur les vignes à l’automne, lui avait dit un jour le vieil
homme, dont il buvait chaque mot, nous déferlions sur les campagnes, cantique
aux lèvres, traquant les païens tapis dans les bois, les marais et les fossés,
massacrant sans distinction hommes, femmes et enfants. Nos épées, nos écus
rougeoyaient de sang. Au crépuscule, il ne restait plus dans les parages une
seule âme qui vive à n’avoir point abjuré ses croyances païennes et juré
allégeance, genoux en terre, à la Vraie Foi ! »
    Le vieil Ulfert
était allé chercher son glaive, celui qu’il avait arraché, encore tout chaud, à
la main d’un païen mort. Sa poignée était incrustée de pierreries ; sa
lame était d’un jaune brillant. À la différence des Francs, qui connaissaient
le fer, les païens avaient des épées d’or  – un métal inférieur, selon
Ulfert, qui malgré sa beauté manquait de la robustesse et du tranchant des
armes franques. Le cœur de Jean avait fait un bond à la vue de cette arme. Le
vieil Ulfert lui avait tendu l’épée, et l’enfant l’avait empoignée, soupesée,
puis brandie au-dessus de sa tête. Le manche aux pierreries semblait avoir été
façonné pour sa main. La lame fendit l’air, plusieurs fois, avec un sifflement
sourd qui semblait faire écho au martèlement de sa poitrine. À cet instant,
Jean avait compris qu’il était né pour la guerre.
    La rumeur parlait
d’une nouvelle campagne militaire, au printemps. Peut-être le comte Hugo
répondrait-il de nouveau à l’appel de l’empereur. S’il en allait ainsi, Jean
projetait de s’enrôler, quel que fût l’avis de son père. Il aurait bientôt quatorze
ans  – l’âge d’homme. Bien d’autres étaient partis en guerre à cet âge-là,
voire plus jeunes encore. Il était prêt à s’enfuir si nécessaire.
    Bien sûr, le fait
qu’il était désormais voué à vivre en reclus dans les murs de l’école de
Dorstadt risquait de lui compliquer la tâche. La nouvelle de la conscription
viendrait-elle seulement jusqu’à lui ? Et si oui, réussirait-il à s’enfuir ?
    Cette pensée
était tellement troublante qu’il la chassa de son esprit pour la remplacer par
sa chimère favorite. Il se vit au premier rang des guerriers, en pleine bataille.
La bannière argentée du comte flottait devant lui, comme pour l’inviter à aller
de l’avant. Il pourchassait les païens vaincus. Ceux-ci cherchaient
désespérément à le fuir. Les longs cheveux d’or de leurs femmes flottaient au
vent. Il les massacrait à tour de bras, maniant son glaive d’une main experte,
taillant et tuant sans relâche ni merci. Tous les survivants finissaient par se
soumettre à sa personne, reniant leur aveuglement et faisant vœu d’accepter la
Lumière.
    Jean esquissa un
sourire rêveur. Le claquement régulier des sabots du cheval ponctuait leur
avance dans la forêt enténébrée.
     
     
    Un sifflement,
suivi d’un bruit sourd.
    Avec un soupir, l’émissaire
de l’évêque bascula en arrière. Son épaule, en heurtant Jean, arracha l’enfant
à son sommeil. Il poussa un cri de protestation, mais déjà l’homme glissait
vers le sol, et sa masse inerte l’entraîna irrésistiblement dans sa chute.
    Ils s’écrasèrent
à terre ensemble. Jean tomba sur l’homme. Celui-ci resta là où il était, sans
bouger. Lorsque l’enfant prit appui sur sa main pour se relever, ses doigts
rencontrèrent un objet long et lisse.

C’était la tige d’une
flèche, terminée par un empennage de plumes jaunes. La pointe disparaissait
entièrement dans le poitrail du messager épiscopal.
    Jean se releva d’un
bond, tous les sens en alerte. De l’autre côté du sentier, un homme vêtu de
loques

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