La parade des ombres
pleuré sa mère et où tout avait basculé.
— Viens, lui dit-il simplement.
— Pourquoi ?
— C’est ce que tu voulais, non ? soupira James Bonny. Le cœur d’Ann se mit à battre plus fort et ses yeux à briller. Elle le laissa l’attirer dans ses bras.
— Pourquoi ? répéta-t-elle encore.
— Parce que tu me plais, miss Cormac, répondit James Bonny. Et que tu dois être le diable pour m’avoir tant donné envie de te posséder.
Ann noua ses bras à cette nuque massive et rendit à James Bonny la fougue de son baiser.
29
L e Bay Daniel filait toutes voiles au vent dans le passage de la Silver Banks. La flûte qu’ils coursaient n’était plus qu’à quelques encablures. Mary sourit au vent qui la décoiffait. Depuis quatre mois qu’ils avaient repris la mer, elle ne se lassait pas de l’allure de leur navire. Il dansait sur les flots comme une jouvencelle.
Junior tenait la barre auprès de Constant, le nouveau quartier-maître. L’équipage ressemblait à son capitaine. C’était lui qui les avait recrutés. Jeunes, vigoureux, courageux et respectueux. Aucun d’eux n’était sanguinaire, aucun d’eux ne s’élèverait contre son autorité. Junior les connaissait pour la plupart. Sitôt que Mary avait fait savoir que le Bay Daniel était prêt à reprendre la mer, beaucoup s’étaient précipités pour rejoindre son équipage. Mary avait refusé de trancher. Ce n’était pas son rôle.
Elle était fière de voir son fils donner ses ordres, en marin accompli, en pirate confirmé.
Elle grimpa sur le gaillard d’arrière. Les hommes étaient parés pour l’abordage, mais elle savait d’instinct que ce ne serait pas utile. La flûte n’était pas un bâtiment guerrier.
— Holà, du navire ! Rendez-vous ou nous serons sans pitié ! hurla Junior dans le porte-voix.
Le Jolly Roger claquait au vent. Le capitaine du Maria savait à quoi s’en tenir. Il ne pouvait pas leur échapper.
— Mettez en panne, ordonna encore Junior.
Mary poussa un soupir satisfait. Les voiles de la flûte venaient de tomber.
Le Bay Daniel se rangea à ses côtés. En un instant, les grappins sillonnèrent les airs pour le retenir et une passerelle fut tendue. Les matelots du Bay Daniel y foncèrent, arme au poing.
— C’est facile, soupira Junior. J’aime mieux quand ils se défendent un peu.
Mary éclata de rire en lui claquant l’épaule.
— Envie de rejouer au charpentier ?
Elle lui adressa un clin d’œil, sauta sur le pont central et gagna la passerelle. En trois enjambées, Junior la rejoignit. Son fils la dépassait de plus d’une tête.
— Capitaine Calvi, se présenta l’homme qui se dressait sur le gaillard d’arrière.
Ses matelots se tenaient tranquilles. Trop, jugea Mary en les laissant sous la garde de ses pirates pour grimper l’escalier.
— Capitaine Olgersen, répondit Junior avec civilité. Nous voulons juste votre cargaison, vous serez libres de repartir lorsque nous vous aurons pillés.
— Je doute qu’elle vous intéresse. Elle est peu monnayable.
— D’où revenez-vous ? demanda Mary, conservant son pistolet braqué.
— Du Yucatán, répondit une voix derrière Mary, une voix rauque, cassée, qui égratigna ses oreilles.
Elle se retourna pour voir surgir un être masqué entièrement, drapé dans une mante qui lui battait les mollets. Vraisemblablement, il sortait de la cabine qu’ils n’avaient pas encore fouillée. Bien qu’il montât aisément les escaliers ramenant à la plate-forme du gaillard, elle remarqua sans peine qu’il claudiquait légèrement. Son allure mystérieuse, tout autant que sa prestance, les déconcerta un instant, Junior et elle.
Derrière le masque, le regard flamboyait et Mary sentit une épine lui poignarder le cœur. Elle se souvenait d’une même intensité, mais en chassa aussitôt le regret.
— Ce navire transporte du maté, expliqua l’inconnu. C’est une plante médicinale. Les Mayas l’utilisent pour leurs cérémonies religieuses.
— Qui êtes-vous ? demanda Junior, mal à l’aise. Et pourquoi cet accoutrement ? Aurais-je oublié la date du carnaval ? ajouta-t-il, se retranchant derrière cette moquerie pour dissimuler sa gêne.
Un pirate ne devait pas montrer de pitié.
— Je suis l’armateur de ce navire, répliqua le personnage. Et bien que mon masque vous semble choquant, les blessures qu’il dissimule le seraient plus encore si je l’ôtais,
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