La Part De L'Autre
pas ses oreilles. D'un geste, elle désigna le
poêle fumant.
C'est
à cause de la chaleur. Dès qu'il fait chaud, je me
sens bien. Donc je m'endors.
Et,
d'un geste anodin, elle retira sa chemise et se montra entièrement
nue.
La
confusion paralysa Adolf. La fille, d'une beauté somptueuse,
le regardait d'une façon implorante, comme une enfant en
faute, toute à sa conversation, quasi inconsciente d'avoir
achevé son effeuillage. Il n'y avait aucun rapport entre ces
seins, ces fesses, ce ventre, ces cuisses, ce pubis et le visage
inquiet, aucune commune mesure entre l'aplomb d'une silhouette
ravageusement accomplie, féminine, péremptoire, et les
yeux suppliants.
Alors
?
Elle
attendait une réponse.
Adolf
avait perdu le fil de la conversation. Il sursauta et se rendit
compte que le médecin avait raison : il n'était pas
tombé évanoui. Il sourit, heureux de sa victoire.
Alors
?
Le
front de Dora se plissait d'inquiétude.
Alors
tout va bien ! s'exclama Adolf H., commentant son propre état.
Dora
soupira d'aise.
Quelle
attitude veux-tu ?
Adolf
s'affola. Même dans ses rêveries, il n'avait jamais
imaginé aller si loin. Il bégaya :
Comme
tu veux.
Alors,
je te propose d'abord des attitudes couchées, comme cela, si
je m'endors, ça ne te gênera pas.
Elle
s'allongea sur le lit d'Adolf et appuya sa tête sur sa main.
Il
s'installa à l'autre bout de la pièce et commença
à crayonner.
Toute
ma vie, je dessinerai, peindrai et sculpterai des femmes, pensa-t-il. J 'ai
trouvé ma vocation.
Peux-tu
poser assise, s'il te plaît ?
Dora
ne répondit pas. Elle s'était endormie.
Adolf
s'accroupit au pied du lit et la détailla. Comme dans son rêve
initiatique, il se tenait tout près d'une femme assoupie.
Comme
dans son rêve initiatique, il avait envie de toucher la femme
assoupie.
Sa
main se porta presque malgré lui au-dessus du corps qui
l'invitait à la caresse : l'arrondi de l'épaule
appelait la paume, le dodu des omoplates demandait l'effleurement, la
taille étroite réclamait l'enlacement, les hanches
commandaient d'être flattées, les fesses exigeaient
d'être mignotées. Ses doigts se posèrent sur la
nuque et Dora sursauta.
Tu
m'as touchée ? dit-elle en sortant du sommeil, assez
mécontente. Tu n'as pas le droit.
Je
ne te touchais pas. Je te réveillais.
Oh,
pardon, fit-elle en baissant les yeux.
Adolf
découvrait que ce visage, qui lui avait d'abord semblé
joli mais banal dans le café Mozart, ne trouvait sa raison
d'être qu'intégré à l'ensemble ; il
donnait de la rondeur et du bon aloi à cette morphologie un
peu longue et hautaine.
Dora
sourit.
Veux-tu
que je change de pose ?
Euh...
Elle
roula sur le lit vers lui. Adolf avait les yeux à vingt
centimètres de ses seins.
Oui,
très bien... Je vais te dessiner comme ça. Ne bouge
pas.
Elle
ne bougea pas.
Mais
Adolf non plus.
Il
venait de constater avec épouvante que ce qu'il pensait d'elle
s'était dressé contre son ventre. S'il se relevait,
elle allait découvrir le pieu qui déformait sa
braguette.
Qu'est-ce
que tu fais ? dit-elle.
Je
pense.
Dora
hocha gravement la tête, l'air d'approuver une terrible
fatalité.
Il
se passa du temps. Adolf se concentrait sur ce qui le gênait et
cela avait pour seul résultat d'augmenter encore sa gêne.
Et
qu'est-ce que tu penses ?
Que
je n'ai jamais rien vu d'aussi beau que toi.
Les
joues, le cou et la poitrine de Dora se marbrèrent de rose.
Qu'on la détaille sous toutes ses coutures ne lui faisait plus
rien, mais qu'on l'admire la flattait. Une onde de pudeur la
parcourut : c'était comme si elle découvrait qu'elle
était nue.
Tu
sais, si tu me paies je peux rester dormir ici cette nuit.
Adolf
la regarda, interloqué. Croyant l'avoir choqué, elle
tenta de se justifier :
D'accord.
Si tu veux, je reste et personne ne paie.
Adolf
comprit seulement à cet instant ce qu'elle lui proposait. Il
s'empourpra et détourna la tête : comment allait-il
faire ? La panique lui coupait la respiration.
Dora
s'approcha, lui tripota la mèche qui tombait sur son front
puis colla ses lèvres aux siennes en le faisant rouler dans le
lit.
Adolf,
continuellement au bord de l'apoplexie, se laissa guider par les
caresses de Dora.
Adolf
découvrait tout. Il ne connaissait pas le corps de la femme,
mais pas mieux le corps de l'homme pendant l'amour. Il était
comme encombré de lui-même. Trop de choses saillaient en
lui, y compris ses pieds, ses genoux, ses coudes, ses hanches. Il
avait peur de faire
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