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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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peu ta belle-mère, n’est-ce pas ?
    — Ne parlez pas, cela vous fatigue, dit Haguenier.
    — J’aurai tout le temps de me taire. Je me sens mieux. Je voudrais voir ta sœur aussi, mais plus tard. C’est bizarre, quand tu es là, j’oublie presque que c’est à cause de toi, tout cela. Je crois que ma tête se ramollit. Attends ; tu vois ce moine, là, qui ronfle, je ne me souviens plus de sa figure. Le père Aubert non plus. Et puis j’oublie les noms. Tiens, toi, je t’avais pris d’abord pour mon frère Ansiau. Tu ne lui ressembles pas, pourtant, il n’avait pas les cheveux bouclés. »
    Il parla encore quelques minutes, il commençait à divaguer. Il se croyait en Terre Sainte, et parlait d’assaut contre la tour maudite, et du marquis de Montferrat. « Le chien, disait-il, il veut nous affamer. Il s’est vendu à Saladin. Jacques de Hervi me doit un bol de fèves, puisqu’il est mort, c’est son frère qui doit me le rendre. Ah ! on dit qu’il y en a qui sont encore vivants, les vautours les mangent vivants, je veux qu’on m’enterre, moi. » Il eut un grand cri d’effroi qui réveilla le moine médecin. «  Il délire », dit Haguenier. Le moine dit : « Ce ne sera plus très long. » Le jeune homme le regarda avec une telle détresse que le moine se repentit de ses paroles.
    Dans la nuit, Herbert reprit encore connaissance pour quelque temps. Il vit les prêtres à genoux près du lit, et la dame, et Pierre, et Aielot , et Mahaut de Buchie, et Joceran de Puiseaux, et toute sa famille rassemblée autour du lit et priant. Et une telle haine le prit pour tous ces vivants qui étaient là à regarder et à épier sa mort, et à chercher à le chasser de ce monde qui était le sien, une telle haine qu’il se mit à hurler comme une bête, sans pouvoir articuler une parole. La dame s’assit près de lui et lui prit la tête sur ses genoux. « Ah ! laissez-moi, cria-t-il, qu’ils s’en aillent tous, les vautours ! Ah ! Noël ! Noël sans moi !
    — Calme-toi, mon petit, tu iras mieux, dit la dame.
    — Je vous maudis, dame. Je vous maudis tous. Je maudis Dieu. Je crache sur lui. Sur la Vierge aussi. Donnez-moi l’hostie, pour que je puisse la cracher ! Sans moi, sans moi ! Noël sans moi !
    — Cela passera, dit la dame. Cela passera. Je suis là.
    — Cela ne passera jamais ! Foin de vos consolations ! Crevez tous, vous m’avez tous tué ! »
    Puis il ne vit plus que des images sans suite. Des vautours tournaient autour de lui, comme au-dessus du champ de morts, à Acre. Puis leurs ailes se mirent à tracer des cercles, à se refermer comme des pinces. Des cercles sans fin de vautours aux yeux vides et blancs, qui fondaient sur lui, pour l’écraser de tous côtés. « C’est cela les hommes, eut-il encore le temps de pense r. Je suis un vautour. Dieu est un vautour. Mère ! Mère ! »
    Son corps inconscient se battit encore toute une journée, et jusqu’au matin de Noël. Cette nuit-là, on ne put fêter Noël à Linnières.
IMAGES
    De beaux cierges dorés illuminaient la chapelle neuve, que son maître n’avait jamais vue achevée. Sur le catafalque dressé devant l’autel paré, en ce premier jour de Noël, Herbert de Linnières reposait dans un faste digne d’un baron de grande lignée. Des étoffes de soie brodées d’oiseaux d’or, volées à Constantinople, étaient tendues sur le dernier lit de repos d’Herbert. Et son corps raide et massif, long à présent jusqu’à l’invraisemblance, était revêtu d’un habit rouge, garni au col et aux manches d’une passementerie large comme la main, toute en fils d’or. Des souliers de cuir blanc incrusté d’argent couvraient ses pieds, des bagues d’or massif paraient ses doigts, et ses grandes mains de cire, aplaties l’une contre l’autre et liées sur la poitrine, en semblaient jeter des feux, à la lueur des cierges.
    Sa vaste toison blond cendré, peignée, lavée, rangée en boucles autour du front et des joues, reposait sur un coussin brodé, découvrant les oreilles, où brûlaient des boucles arabes à turquoises.
    Une longue épée espagnole, à la garde d’ivoire incrusté de jais, où était scellée une relique de saint Jacques, était posée à plat sur le corps, nue et brillante ; sa garde était fixée sous les poignets, et sa pointe touchait les pieds. Des éperons d’or brillaient aux souliers et une ceinture blanche entourait la taille.
    Tous les tapis, toutes les

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