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La Pierre angulaire

La Pierre angulaire

Titel: La Pierre angulaire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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avait déjà renoncé à la succession, c’était là, disait-il, la volonté de son père. C’est au futur mari de la petite Marguerite que revenait à présent toute la fortune d’Herbert, Bercenay mis à part, qui revenait à dame Aelis. L’époux en question n’était pas encore choisi, et à présent le domaine était sans maître.
    Haguenier ne voulait pas faire route commune avec des parents et des amis. Malgré les prières d’Aielot, qui voulait à tout prix l’accompagner, il déclara qu’il voulait être seul. Et pour éviter de rencontrer en route sa sœur ou sa tante, ou d’autres parents qui rentraient à Troyes, il demanda au compagnon marbrier de le prendre sur sa charrette, parmi ses ouvriers. Là, vêtu comme un pauvre, la tête couverte d’un capuchon de grosse bure, et cahoté sur les brancards parmi les bâches, il était sûr de ne pas être reconnu.
    Était-ce un mauvais rêve dont il allait se réveiller ? Il ne pouvait encore comprendre comment lui, qui croyait déjà avoir tout perdu, venait encore de perdre cent fois plus ; ah ! pourquoi ne s’était-il pas jeté à l’eau, en ce soir d’octobre, lorsqu’il avait entendu la voix d’Ernaut ? Ernaut, le bon, le pur, pouvait-il lui conseiller le mal ? Du moins il eût dû laisser là son cheval et ses habits, et partir seul, quitter la maison de son père à jamais, puisqu’il était destiné à un tel péché. Comment, sans vouloir le mal, ne fait-on que du mal ? Tout était de sa faute dès le début, c’est en provoquant Amaury de Breul qu’il avait forcé sa belle-mère à se compromettre plus qu’elle n’eût voulu, peut-être. Et puisque après tout, il la croyait coupable, qu’avait-il à la défendre, comme s’il se fût agi de sa propre mère ?
    « Ah ! Marie, amie douce, si je vous avais moins aimée je ne l’aurais pas fait. »
    Car il savait bien, avant d’aimer Marie il n’eût jamais pu entrer dans une telle colère en voyant un homme frapper une femme. Et de quoi s’était-il mêlé ? Comme si son père en était à cette cruauté près. Et c’est pour s’emporter ainsi comme une brute qu’il avait passé trois mois à prier et à faire le saint, et voilà, le mal qu’on a en soi ne fait que grandir quand on veut le tuer par la volonté.
    Son père. Le seul homme sur lequel il n’eût jamais dû porter la main. Lui, il avait le droit de frapper sa femme. Il avait le droit de me frapper, moi.
    « Il n’était pas un mauvais homme, puisqu’il a pu me parler avec douceur, après ce que j’ai fait. Il y a eu de grands saints qui avaient mené une mauvaise vie avant d’être appelés à Dieu, et peut-être allait-il justement se convertir et devenir bon, et moi je l’en ai empêché à jamais et tué son âme en même temps que son corps. Eh quoi, lui qui était si emporté et si jaloux, pouvais-je lui demander d’être doux envers une femme qui l’a déshonoré ? J’en aurais peut-être fait autant à sa place. Juste à son retour, sans avoir eu le temps de voir comme il était amaigri et fatigué, moi qui tenais la maison, quel accueil je lui ai fait ! Et c’est fini à jamais maintenant, il est là-bas, au cercueil, et je ne verrai plus ses yeux, je n’entendrai plus sa voix.
    « Et je l’aimais. Dieu le sait, pas comme on doit aimer son père, mais je l’aimais quand même. Et il m’aimait, bien que je ne lui aie jamais fait honneur. Ma faiblesse, mes folies, il pardonnait tout, et je l’acceptais comme mon dû et je le trouvais encore trop dur. »
    À quel homme au monde devait-il plus de fidélité qu’à celui qui l’avait engendré ? Ne dit-on pas de Dieu qu’il est un Père ? Qui n’aime pas son père qu’il voit, peut-il aimer le Père qu’il ne voit pas ? « Je n’ai pas pu comprendre mon père que je voyais, et je pensais aimer Dieu. Et c’est trop tard maintenant pour vouloir l’honorer. C’est trop facile. On respecte toujours un mort. C’est vivant qu’il fallait l’aimer. »
    Et son péché lui paraissait si irréparable qu’il regrettait presque de ne pas être jugé comme parricide et condamné à mort. Il n’aurait qu’une amende et une pénitence publique. Et après ? Aller prier pour son âme ? Que vaut la prière d’un pécheur ?
    Il avait une telle soif d’entendre parler de son père qu’à la première halte il vint s’asseoir à côté du marbrier – il s’appelait André Guillaume – et lui demanda de raconter

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